Accueil · Antisocial · Presse-citron · Les entreprises les plus antisociales de Belgique Les entreprises les plus antisociales de BelgiqueCette enquêtre «presse-citron 2007»
est basée sur l'analyse des comptes annuels 2006, y compris les bilans sociaux,
des 126 entreprises du pays comptant au moins mille travailleurs. Nous avons
établi onze classements d'après nos onze critères anti-sociaux (réduction de
l'emploi, baisse des salaires, etc.). Un douzième classement attribue une cote
globale aux entreprises.
1. Champion de la réduction
d’emploi

Ce critère évalue le nombre d’équivalents
temps plein en 2006, par rapport à 2005. Diagnostic? En moyenne,
l’emploi a baissé de 0,5%. Et l’année précédente, il avait déjà
baissé de 1,6%. Or, les bénéfices ont, eux, augmenté de 31% en
2006, après une hausse de 69% en 2005. Les plus fortes réductions
d’emploi sont le fait de Blokker (-13,7%), Jan De Nul (-13,6%),
Recticel (-13,0%), GM Automotive (-9,7%) et General Biscuits (-9,6%).
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2. Champion de la rotation du
personnel

Incroyable: l’entreprise de
restauration Sodexho comptait 2440 équivalents temps plein (ETP) en 2006.
Mais sur cette même année, 8633 ETP sont entrés dans l’entreprise et
8604 en sont sortis. Ce qui fait un taux de rotation de 353%. Quatre
autres entreprises dépassent les 100%: GOM (149%), Lunch
Garden (118%), Ikea (110%) et ISS Facility Services (106%). Le
taux moyen des 126 entreprises étudiées est de 21,5%. En 2005, il était
de 20,1%.
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3. Champion de la durée du travail

Chaque travailleur des 126 entreprises
étudiées a travaillé en moyenne 1481 heures en 2006 (en 2005, c’était
1482). Si l’on compte 45 semaines de travail, cela représente des
semaines de 33 heures. Les travailleurs de HP ont eux travaillé 1940
heures, soit 43heures/semaine. Comme quoi, l’informatique peut alléger
le travail de l’homme, à condition que l’employeur le veuille bien.
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4. Champion de la baisse des salaires

Ce critère calcule la charge salariale
des entreprises par heure prestée. Et compare 2006 à 2005. En moyenne,
l’augmentation est de 2,9%. A laquelle, il faut retirer l’inflation
(hausse des prix) de 1,8%, ce qui fait une hausse de pouvoir d’achat de
1,1% (contre une hausse des bénéfices de 31%). Vingt-cinq
entreprises présentent même baisse du salaire horaire moyen. A commencer par
Eandis, qui affiche une baisse de 11,6%. Eandis est l’ancienne
Electrabel Netten Vlaanderen, que le groupe Electrabel a cédé en 2006 aux
intercommunales flamandes. Elle gère les réseaux de gaz et électricité.
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5. Champion des licenciements

Ce n’est pas parce qu’une entreprise licencie massivement que l’emploi y
diminue. Ainsi, ISS Facility Services est passé de 5897 équivalents
temps plein en 2005 à 5960 en 2006. Mais cette entreprise de nettoyage a
licencié – accrochez-vous – 9710 salariés durant l’année 2006
(dont 8660 temps partiels). Notons que les cinq entreprises de nettoyage
figurant dans notre enquête figurent toutes dans le peloton de tête des
licenciements: GOM (n°3, avec 22%), Cleaning Masters (n°5,
avec 17%), Laurenty (n°7, avec 13%) et Euroclean (n°18, avec
6%). Le n°2, FligtCare (22%), fait aussi dans le nettoyage,
mais plus spécialement des avions (et des délégations syndicales). La moyenne
des 126 entreprises est de 4,3%.
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6. Le champion du travail temporaire

«CDD, votre contrat!»
«C’est Dédé?» Non, contrat à durée déterminée.
Dans les magasins de vêtements H&M, il y a beaucoup de Dédé: 30%.
Sur les 126 entreprises étudiées, 22 dépassent les 10%. Et cinq dépassent
les 20%: outre H&M, Blokker, FlightCare, GSK Biologicals et
Caterpillar. La moyenne générale est de 5%.
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7. Champion de l’intérim

Comme nous l’avons détaillé dans
notre dernière édition, la firme Daikin figure largement en tête de l’intérim
(35 intérimaires pour 100 travailleurs sous contrat). Avec cette particularité
qu’elle partage ce personnel intérimaire avec le chocolatier Jacali. La
moyenne des 126 entreprises est de 2,6%. En 2005, elle était de 2,3%.
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8. Champion du taux d’exploitation

Bien sûr, chaque entreprise exploite
son personnel de 36 manières différentes. Mais ce que nous nommons taux
d’exploitation calcule le rapport entre le bénéfice1 et les
charges salariales de l’entreprise. La moyenne, pour les 126 entreprises, est
de 124%. Ce qui signifie que chaque fois que l’employeur dépense 100¤
en frais de personnel, il empoche un bénéfice de 124 euros. Ou, vu du côté
du travailleur: sur une journée de 8 heures, il travaille environ 4h30
pour enrichir son patron et 3h30 pour payer son propre salaire.
Suez-Tractebel cartonne à 5519%. Toutefois, la plus grande part de
son immense bénéfice (6,47 milliards) découle d’une vente d’actions
Electrabel à Suez, c’est-à-dire une opération à l’intérieur du groupe.
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9. Champion des réductions d’impôts

Grâce aux nombreux cadeaux fiscaux,
les impôts payés par les 126 entreprises ne représentent que 7,7% de
leurs bénéfices, alors que le taux officiel est de 34%. Cela représente
un cadeau de... 8 milliards d’euros. Trente entreprises payent moins de 1%
d’impôts. Parmi lesquelles, sept payent même un impôt négatif, à
commencer par Degussa (-13,3%, ce qui peut correspondre à des
remboursements d’impôts des années antérieures).
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10. Champion des dividendes

Que fait une entreprise avec son bénéfice?
Elle peut le laisser dans l’entreprise pour financer des investissements
futurs ou le distribuer aux actionnaires sous forme de dividendes. Nos 126
entreprises ont réalisé 28,9 milliards de bénéfices, dont elles ont distribué
18,3 milliards aux actionnaires. Cela fait un taux de 63%. Douze
entreprises dépassent les 100%. Elles distribuent donc un montant de
dividendes supérieur à leur bénéfice. Comment? En puisant dans le bénéfice
des années précédentes. Plus fort: en tête de notre classement, nous
avons placé trois entreprises qui distribuent des dividendes alors qu’elles
affichent une perte en 2006: Barco, Recticel et Tessenderlo Chemie.
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11. Champion du vol de salaire
indirect

Les charges sociales dites patronales
représentent en réalité votre salaire indirect: plutôt que de vous le
donner directement, votre patron le verse à la sécu pour quand vous serez
vieux, malade ou sans emploi. Réduire ces charges revient donc à voler votre
salaire indirect. Globalement, les 126 entreprises ont ainsi «volé»
603 millions d’euros à leurs 424401 travailleurs2. Cela représente
2,10% de la charge salariale. Ou, plus concrètement, 1420 euros par
travailleur. Ces réduction sont accordées au nom de l’emploi. Telenet, qui a
eu le plus de réductions (8,23% de sa masse salariale) a effectivement
augmenté ses effectifs. Par contre, le n°2, Blokker (7,52%), est
le champion de la réduction d’emploi, comme on l’a vu ci-dessus. Difficile
de trouver preuve plus éclatante que l’emploi sert d’alibi à un cadeau
offert sans contrepartie aux employeurs.
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1 Le bénéfice majoré des
amortissements, ce qui équivaut plus ou moins à la notion de cash flow. • 2
En équivalents temps plein.
Le presse-citron
d’or est attribué à H&M
Une règle de notre concours stipule
qu’on ne peut gagner deux fois le presse-citron d’or. Sodexho, vainqueur
l’année passée, est donc écarté au profit de H&M, la chaîne de
magasins de vêtements. Ce verdict sorti de notre analyse chiffrée est appuyé
par plusieurs témoignages.


> Voir le classement général de toutes les entreprises
Tuuuuuut... «Bonjour. H&M est constamment à la
recherche de nouveaux collaborateurs et nouvelles collaboratrices.» Lorsque
vous téléphonez au siège bruxellois de H&M, le répondeur vous donne déjà
un indice sur la politique du personnel.
Car si les pubs H&M ont marqué la plupart d’entre
nous, une autre marque de fabrique de la firme est moins connue: des 126
entreprises belges de plus de mille travailleurs, elle est celle comptant le
plus de temporaires (CDD, contrat à durée déterminée). Ce n’est pas tout.
Elle est aussi n° 3 pour les réductions de charges patronales, n° 4
pour le nombre d’intérimaires, n° 15 pour la proportion de
licenciements, n°19 pour la rotation du personnel.
« Il y a une erreur dans les chiffres, nous indique
l’attachée de presse de la société une semaine après que nous lui ayons
soumis nos données. Ernst & Young, qui a déposé nos comptes à la
banque nationale, a interverti les lignes des CDD et des CDI [contrats à
durée indéterminée] dans le bilan social.» Cela en dit long sur
le sérieux avec lequel les entreprises élaborent ce bilan. Nous apprenons donc
en dernière minute que H&M compte 70% de CDI et 30% de CDD. Et
non l’inverse.
Par chance (si l’on peut dire), cela ne change rien à
notre classement car avec 30%, H&M reste n°1 du pourcentage de
CDD. Pour le reste l’attaché de presse se contente d’indiquer que
l’importante rotation de personnel est spécifique au secteur du fashion
retail.
Comment cela est-il vécu par le personnel? Pour le
savoir, nous contactons un délégué. Mais il refuse de lâcher le moindre
commentaire: les consignes de H&M sont formelles. Nous tentons alors
de convaincre l’attachée de presse.
« Madame, vous comprenez bien que vu la nature de notre enquête,
nous voudrions aussi avoir le point de vue d’un délégué syndical.
– Les gens des magasins n’ont pas le droit de parler sur
l’entreprise car ils en ont une vue partielle.
– Je suppose qu’un délégué, qui participe au conseil
d’entreprise, a une vue un peu plus large. Je vous propose d’autoriser
n’importe quel délégué, à votre choix, à nous parler.
– Non, nous n’avons pas le droit…»
Comme quoi, il faudrait un douzième critère dans notre
classement, sur la démocratie au sein de l’entreprise. Nous joignons alors le
permanent syndical du délégué (lire-ci-contre) et deux anciennes vendeuses.
L’une d’elle a travaillé dans un H&M bruxellois. Un
mauvais souvenir. «C’est grave. Ils n’ont tout de même pas le
droit de changer les horaires à la dernière minute. Mais si on refusait, on
nous mettait les pires horaires les semaines suivantes. J’avais un contrat de
24 heures semaine, mais j’ai toujours fait plus, plutôt 35 heures. Parfois,
le soir, j’étais seule pour tout faire: la caisse, les cabines, le
rangement… A la fin de mon contrat d’un an, j’ai trouvé autre chose.»
«Beaucoup de gens quittent H&M, convient
une ancienne vendeuse d’Anvers. On commence par de l’intérim, puis on a
un CDD d’un an. Et ils vous promettent un CDI après deux CDD. Une semaine
avant la fin d’un CDD, on ne sait toujours pas si on reste.»
Il y a aussi des tricheries sur les fonctions: «Les
contrôleurs font les tâches d’un floor manager, qui gagne plus.» Quant
aux horaires, elle faisait également bien plus que ses 24 heures
contractuelles. Et les heures sup? «On pouvait soit se les faire
payer, soit les récupérer. Mais la direction décidait quand. Parfois, on
venait pour une journée de 8 heures et on était renvoyé chez soi après 3
heures de travail.»
Le géant suédois H&M (1400 magasins dans 28 pays,
dont 58 en Belgique) vient de fêter ses soixante ans le week-end dernier. Comme
cadeau d’anniversaire, il nous semble parfaitement mériter notre
presse-citron d’or…
Qu'en pense Bertrand Delplanque, permanent Setca à Mons pour
le secteur du commerce ? « Il me semble qu’il y a pire que H&M,
dans des entreprises plus petites. Mais c’est vrai que la situation y est plus
mauvaise que chez Delhaize ou Carrefour. Cela tient à la fois à la taille des
magasins - chaque hypermarché a son propre conseil sécurité-hygiène, alors
que H&M en a un pour tout le pays – et à l’ancienneté du travail
syndical. On a commencé seulement depuis huit ans chez H&M. Il y a des
avancées, par exemple le respect des trois semaines consécutives de vacances.
Par contre, cela bloque sur le respect des horaires. Quand il fait beau, il y a
plus de clients. La direction fait donc venir ou rentrer le personnel selon la météo.»
Ce qu’ils disent
de notre enquête
Nous avons soumis notre «presse-citron»
à des spécialistes universitaires et syndicaux. Ils soulignent l’intérêt
de l’enquête, tout en nuançant certains résultats.
«J’ai les classements en horreur, nous lance
d’emblée le professeur Matéo Alaluf (ULB). Mais j’ai lu le vôtre
avec intérêt…» Il met toutefois en garde: certains
indicateurs peuvent refléter une chose et son contraire. Exemple: «Volkswagen
Bruxelles est dernier de la liste pour la durée du travail, ne comptant que 1166
heures par travailleur. Mais est-ce vraiment positif?»
Esteban Martinez, également de l’ULB, insite lui
aussi sur la nécessité d’être prudent dans l’interprétation de certains
chiffres. Ainsi, il confirme que les entreprises de nettoyage licencient
massivement, comme le montre notre enquête, mais livre des éléments
d’explications: «Lorsqu’une telle entreprise change la durée
de travail ou même simplement l’horaire d’un travailleur, elle le licencie
et lui fait signer un nouveau contrat.
De plus, il existe le système de subrogation. Admettons
qu’ISS ravisse à Gom le marché du nettoyage du campus de l’ULB, ISS devra
reprendre les mêmes travailleurs sur le campus. Mais cela fera autant de
licenciementx et nouveaux contrats. Cela dit, souvent, après quelques mois, la
nouvelle firme liquide les travailleurs les plus coûteux…»
Jean-François Tamellini, chef de cabinet de la MWB
(FGTB-métal), est d’autant plus convaincu de l’intérêt d’une telle
enquête que sa centrale a entamé une démarche similaire.
Il y a toutefois deux différences. «Notre étude
se limite au secteur du métal, mais n’est pas restreinte aux entreprises de
plus de mille travailleurs, qui représentent peut-être 3% de notre échantillon.
Dans votre étude, les entreprises du métal ont un assez bon profil, mais la
situation dans les entreprises plus petites est très différente.»
Il pointe aussi le cas de Caterpillar: «C’est
vrai que le nombre de temporaires y est important [n°5 dans notre
classement], mais c’est lié à une convention innovante qui prévoit le
remplacement des travailleurs âgés par des jeunes. C’est vrai que ces jeunes
commencent avec un CDD, mais pour devenir des CDI par la suite.»
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 26 septembre 2007
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