Accueil · Antisocial · Salaires · Top managers: leur salaire n'est que la pointe de l'iceberg Top managers: leur salaire n'est que la pointe de l'icebergLes top managers touchent plus en un
an que ce que nous gagnons sur toute une vie. Ne devraient-ils pas modérer
leurs revenus pour augmenter nos salaires?
Le monde patronal est ébranlé. Au moment où il rêve de
cadenasser les salaires des travailleurs, ceux-ci découvrent les salaires indécents
que les dirigeants des grandes entreprises ont touché en 2005: 1,75 million
d'euros, en moyenne, pour les top managers du Bel 20 (les vingt principales sociétés
cotées à la Bourse de Bruxelles).
Attention à la démagogie, crient les patrons: on ne
parviendra pas à augmenter le salaire des travailleurs en réduisant celui des
top managers. Ainsi, le rédacteur en chef de Trends explique: «Additionnez
les salaires des dirigeants de nos mille plus grandes entreprises, le total ne
représentera que 0,001% du produit intérieur brut de la Belgique.»1
Le grand manitou de La Poste, Johnny Thijs, répète la même
idée: «Un journaliste a récemment calculé combien chaque postier
toucherait si on partageait entièrement mon salaire: cela ne leur ferait
presque pas de différence.»2 Effectivement, ils n'empocheraient
chacun que 20 euros par an.
Seulement, il y a patron et patron. Il y a celui que l'on
voit: le top-manager, qui dirige l'entreprise. Puis, il y a le vrai patron:
celui qui possède l'entreprise, l'actionnaire principal. Prenez le groupe
Solvay: son dirigeant, Aloïs Michielsen a touché 1,64 million d'euros en 2005.
Enorme. Mais cette même année, la famille Solvay-Janssen a perçu des
dividendes (rémunération des actionnaires) pour... 52,62 millions d'euros.
Parfois, le manager et l'actionnaire ne font qu'un. C'est le
cas du carolo Albert Frère. Comme manager du holding GBL, Frère a touché 2,03
millions d'euros en 2005. Mais comme actionnaire de GBL et CNP, il a touché
(avec son ami Desmarais) 164 millions d'euros de dividendes. Et la fortune
totale qu'Albert Frère a amassée depuis des années dépasse, elle, les 2
milliards d'euros. Si vous économisez 200 euros par mois, vous atteindrez cette
somme dans 8000 siècles.
Bref, le salaire du manager est une poupée russe qui en
cache d'autres: la partie du bénéfice qui reste dans l'entreprise, la partie
du bénéfice distribuée sous forme de dividende, la fortune totale du
capitaliste (la valeur de ses actions).
Dès lors, pas difficile de comprendre pourquoi les
dirigeants d'entreprise sont si bien payés. Le président de Bekaert,Paul
Buysse, justifie d'ailleurs très lucidement son salaire: «L'action de
Bekaert a triplé l'année passée et nos bénéfices sont plus élevés que
jamais. Ce qui fait que nos actionnaires ont pu encaisser un joli dividende.»3
Il omet simplement de préciser que c'est en réduisant la masse salariale
à travers plusieurs restructurations qu'il a atteint ces résultats. Et
dire que ce sont les mêmes qui veulent imposer un Pacte de compétitivité modérant
nos salaires, au nom de la situation difficile des entreprises
La politique antisociale des patrons et les cadeaux fiscaux
reçus du gouvernement ont permis aux entreprises d'augmenter fortement leurs bénéfices:
+24% en un an, selon les chiffres provisoires de la Banque nationale. Elles ont
donc largement de quoi augmenter les salaires.
Quant à l'augmentation des allocations sociales (pension,
invalidité, chômage), pourquoi ne pas les financer en taxant les grosses
fortunes. Un impôt de 1 à 2% sur les fortunes de plus de 500000 euros
rapporterait au moins cinq milliards d'euros chaque année. Pas une petite somme...
1 Trends, 4-5-2006 · 2 Humo,
9-5-06. · 3 Humo, 9-5-2006.
Ce qu'en disent les patrons
Johnny Thijs (La Poste, 820000
euros) : «Si ces montants posent problème au gouvernement, il
aurait dû le dire plus tôt. C'est eux qui m'ont demandé de diriger La Poste.
Après un entretien, nous avons convenu d'une rémunération, point. Ainsi
fonctionne le marché libre.» Thijs est-il disposé à modérer son
salaire? «Non. Je n'y suis en effet pas disposé.» Voilà en tout cas
un bon exemple pour les travailleurs: il faut refuser de modérer son salaire.
Didier Bellens (Belgacom, 2,2
millions d'euros) : «J'ai conclu un accord avec le conseil
d'administration. Et un tel contrat entre un travailleur et une entreprise ne
peut pas être modifié comme ça. Si certains pensent pouvoir le faire, alors
les contrats n'auront plus aucune valeur.» Il est vrai que, mis à part les
8600 travailleurs dont elle s'est débarrassés depuis dix ans, Belgacom est très
respectueuse des contrats.
Paul Buyse (Bekaert, 960000 euros) :
Si le gouvernement se mêle des salaires des patrons, «nous
serons bientôt dans un système communiste. Les salaires sont de la compétence
des actionnaires.» Si l'on comprend bien, le communisme c'est quand l'Etat
modère le salaire des patrons, le capitalisme quand l'Etat modère le salaire
des travailleurs.
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 17 mai 2006
|