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Enquête | Y a-t-il quelqu’un pour contrôler les banques ?

Les banques toutes puissantes, ce n’est pas nouveau. Mais depuis quelques années, les griefs à leur encontre s’accumulent, tandis qu’explosent leurs bénéfices. Pourtant, les pouvoirs publics laissent faire. Etat des lieux et pistes alternatives.

11,5 milliards d’euros. C’est le montant faramineux des bénéfices réalisés en 2006 par les quatre principales banques du pays: Fortis, KBC, ING et Dexia. C’est 26,9% de plus qu’en 2005, qui était elle-même en forte augmentation par rapport aux années précédentes.

Dans les années 90, les banques et compagnies d’assurance avaient déjà profité d’un double processus de privatisations et de fusions. Toutes les institutions publiques de crédit (CGER, Crédit communal, Inca, SNCI, Banque de La Poste, etc.) ont été privatisées. Les bénéfices qu’elles apportaient à l’Etat ont ainsi été offerts au privé. Et leur politique (un peu plus) sociale abandonnée.

Le cas le plus typique est celui de Fortis, présidée par Maurice Lippens, dont la famille, 18e fortune de Belgique, figure parmi plus importants actionnaires du groupe. Fortis est la fusion des assurances AG avec la Générale de Banque, la CGER privatisée et la SNCI privatisée (elle détient aussi la moitié de la Banque de la Poste). Et aujourd’hui, Fortis est en mesure de débourser 24 milliards d’euros pour s’offrir une partie de la banque néerlandaise ABN-Amro, qu’elle a dépecée avec ses partenaires Santander et Bank of Scotland, à l’occasion de la plus grande acquisition bancaire de tous les temps.

On a l’impression que, de plus en plus, tout semble permis aux banques afin qu’elles puissent accumuler leurs immenses profits. C’est ce qui ressort en tout cas des différents «points noirs» que nous analysons dans ce dossier. De plus, si l’on considère l’ensemble des entreprises belges, leur bénéfice 2006 représente 54% de leurs frais de personnel. Par contre, dans les quatre principales banques du pays, ce rapport est de… 195%.

Cela ne signifie évidemment pas que le personnel des banques est quatre fois plus exploité. En fait, l’enrichissement des banques se réalise aux dépens de quatre acteurs sociaux: le personnel bancaire, les clients particuliers, les entreprises des autres secteurs et enfin l’Etat.

Dans un contexte où l’Etat manque cruellement de moyens pour répondre aux besoins sociaux (par exemple le soutien au pouvoir d’achat), comment ne pas s’étonner de l’existence de transferts des finances publiques vers le riche secteur bancaire?

1. Agences fantômes et inaccessibles guichets

«Ce n’est n’est pas moi qui décide, c’est la hiérarchie.» Réponse d’un employé de Fortis à un pensionné mineur de La Louvière. Âgé de 77 ans, ce client fidèle avait le tort d’être analphabète et incapable d’utiliser le guichet automatique, malgré des explications répétées. Il demandait simplement de pouvoir venir retirer son argent au guichet deux fois par mois. Impossible. L’employé finira par lui proposer… de lui trouver une autre banque.

Lorsqu’une voisine porte plainte chez le médiateur de Fortis, la direction assure qu’il s’agit d’un malentendu. Pourtant la lettre qui suivra prouvera qu’il n’en est rien puisqu’elle promettra au pensionné que le personnel… lui expliquerait le maniement du guichet automatique.

Ce cas et tant d’autres illustrent la politique implacable des banques: chasser les clients des guichets. En dix ans, la Belgique a perdu 3000 agences bancaires, dont le nombre est passé de 7791 (1994) à 4837 (2004). 1 Championdu genre: Fortis a liquidé sur cette période 46% de ses agences.

A Vresse-sur-Semois (province de Namur), Dexia a fermé fin décembre la dernière agence bancaire qu’il restait sur l’ensemble de l’entité communale. Les habitants doivent désormais faire une vingtaine de kilomètres pour trouver un distributeur de billet ou déposer un virement. Le bourgmestre ne décolère pas: « Leur seul argument, c'est la rentabilité. Les responsables de Dexia ont reconnu que notre agence n'était pas déficitaire, mais à leurs yeux, elle n'est pas assez rentable. »

Et le mouvement continue. Chez ING, on appelle cela «la banque du futur». Sur les 800 agences qu’il lui reste, 250 à peine devraient conserver leurs guichets. «Que veut le client? explique la direction. Il veut du direct [guichets automatiques et internet] quand c’est possible et du conseil quand c’est nécessaire.» 2 Pourtant, les employés de banque vous le diront: on ne leur demande pas de donner des conseils, mais de vendre des produits. Ils n’ont pas le temps de vous téléphoner pour signaler que vous n’êtes toujours pas venu chercher votre nouvelle carte bancaire (qui sera réexpédiée au siège central), mais bien pour vous vendre un prêt ou une assurance.

Si vous voulez toujours avoir un accès libre à une agence, comme naguère, il y a pourtant une solution. Aller à la CGER, caisse d’épargne populaire? Non, elle a été privatisée. Aller à la Banque de la Poste? La majorité des bureaux de poste sont en train d’être fermés. Non, la solution est d’opter pour le private banking. Des établissements comme les banques Delen, Degroof, SG Private ou même les divisions private banking de Fortis, Dexia ou KBC. Vous y serez accueilli sur un tapis rouge, dans des locaux de toute beauté et bénéficierez des conseils personnalisés. Simplement, vous devrez disposer, au minimum, d’un demi-million à un million d’euros de cash à investir pour y être admis comme client.

2. Une avalanche de frais bancaires

Admettons que vous ayez votre compte bancaire chez Fortis. La banque dispose de votre argent toute l’année et détient une situation privilégiée pour vous fourguer tous ses produits : crédits, placements, assurances… Pourtant, c’est vous qui devez payer pour ce compte.

Combien? 12€ de frais de gestion (avant ce 1er janvier 2008, c’était 8,50€, soit une augmentation de… 40%). Ajoutez 9,99€ pour la carte bancaire, majorés de 4,96€ pour la fonction proton et de 6,99€ pour pouvoir retirer de l’argent aux autres banques que Fortis. Comptez encore 22€ pour une carte Visa Classic et 30€ pour cent virements papiers (vous n’avez pas internet et la file aux automates est souvent trop longue). Les retraits au guichet automatique sont gratuits si c’est chez Fortis. Par contre, les cinquante retraits effectués à d’autres banques vous sont facturés 5€.

Total: 68,94€. En optant pour le forfait « Easy pack», vous réduirez toutefois la facture à 61,20€. Maigre consolation. Naguère, un compte à vue était gratuit. Aujourd’hui, il vous coûte cher, votre argent...

Cette situation a fait que les banques se sont mises à exclure des clients, ceux-ci se retrouvant sans compte bancaire dans une société où il est difficile de s’en passer. La loi du 24 mars 2003 (modifiée par celle du 24 avril 2007) a imposé aux banques d’offrir un service bancaire de base aux clients dont l’épargne et les crédits n’excèdent pas 6000 euros. Les titulaires de ce compte spécial n’ont droit qu’à un nombre limité d’opérations, mais la banque ne peut leur demander plus de 12,80 euros de frais par an.

Cette législation aurait permis de faire passer de 40000 (2001) à 10000 (2006) le nombre d’exclus bancaires. Une bonne chose, donc, même si on peut se poser des questions sur ce 10000 exclus qui subsistent. Mais aussi: pourquoi les banques n’ont-elles aucune limitation de frais à l’égard de la majorité de leurs clients?

3. Taux d’intérêt rikiki et taux d’intérêts maxis (voire illégaux)

On comprend que les banques appliquent des taux d’intérêt plus élevés sur l’argent qu’elle vous prête que sur l’argent que vous lui confiez. Tirer profit de cette marge, c’est le métier même des banquiers. Mais il y a marge et marge.

Ainsi, en 2007, Fortis, leader des crédits hypothécaires, a relevé plusieurs fois ses taux, qui ont atteint 6% pour un prêt de 20 ans. On aurait pu s’attendre à une hausse parallèle des taux du carnet d’épargne. Pourtant, dans les grandes banques, les taux de base stagnent à 1,50% ou 1,75% (majoré d’une prime de fidélité de 0,50% pour l’argent qui reste en compte plus d’un an). Ce qui fait dire à Trends-Tendances que «les grandes banques font du gras avec votre épargne.»

Confronté à une inflation qui s’approche des 3%, le petit épargnant peut être tenté par des placements un peu mieux rémunérés: compte à terme, bons de caisse… Mais, élément dissuasif, ces intérêts sont soumis au précompte mobilier, contrairement au carnet d’épargne. Le statut fiscal privilégié de ce dernier est censé profité aux petits épargnants. Certains observateurs estiment toutefois qu’il permet aux banques de maintenir des taux bas, l’épargnant évitant des placements taxés.

Les petites banques proposent des taux plus attractifs, mais cela ne suffit pas à faire bouger les grandes. D’abord parce que certaines petites sont des filiales des grandes. La banque Record, par exemple (présidée par Didier Reynders jusqu’à ce qu’il devienne ministre des Finances, en 1999), est une filiale d’ING. Mais surtout, parce que les grandes gardent la main sur trois quarts des 150 milliards d’euros placés sur carnets d’épargne. Comme souvent, la concurrence théorique cache un monopole de fait. D’autant que certains suspectent les quatre grandes banques d’entente illégale, puisqu’elles appliquent généralement des taux d’intérêt similaires.

Là où la marge atteint des sommets, c’est sur les comptes à vue. A condition que votre solde dépasse 2500 euros, Fortis vous rémunère d’un plantureux 0,25%. Par contre, dès que vous passez sous zéro, il vous en coûte actuellement 14%. Et même 15,4% si vous dépassez la limite autorisée.

La loi du 14 mai 2001 fixe certes un taux maximum (qui varie selon l’évolution générale des taux d’intérêts). Quand on voit le niveau astronomique de ces taux légaux, on se dit que cette loi est particulièrement bienveillante pour les banques. Pourtant, certaines en veulent encore plus.

Ainsi, lors d’une enquête réalisée en mai 2007, l’association de consommateurs Test-Achats a constaté que six banques (Dexia, Axa, Banca Monte Paschi Belgio, Banque du Brabant, Centea, Crédit professionnel interfédéral et Delta Lloyd) faisaient payer 14 % d’intérêts pour les comptes courants en négatif. Et la Deutsche Bank, 13,5 %. Or, à ce moment là, le taux maximum était de 13 %. Cela suscite plusieurs questions.

D’abord, pourquoi est-ce Test-Achats qui découvre ce non-respect de la loi ? N’est-ce pas le rôle des organismes d’Etat ? Ou de la Commission bancaire, dont le rôle est, normalement, de contrôler l’activité du secteur financier ?

Ensuite, comment se fait-il que des banques se permettent de violer allègrement une loi dont, assurément, elles n’ignorent pas l’existence ? « Il est à déplorer que Dexia, l’une des plus grandes institutions financières du pays, méconnaisse doublement la loi, note Test-Achats. D’abord, en appliquant des intérêts débiteurs plus élevés que ceux légalement permis. Ensuite, après avoir enfin reconnu son erreur, en faisant une proposition de dédommagement qui ne répond pas aux dispositions de la même loi. »

En effet, lorsque les banques qui ne respectent pas le taux maximum, la loi prévoit à la fois des sanctions pénales et le remboursement aux clients du total des intérêts perçus durant la période litigieuse. Ici, il n’y a eu aucune poursuite pénale pour ce vol caractérisé. Et Dexia a même tenté d’échapper à l’autre sanction en ne remboursant que la différence entre le taux appliqué et le maximum légal. Sous la pression, la banque a finalement été contrainte… de respecter la loi.

4. Le refus d’appliquer la loi sur les baux

Vous vous voyez refuser d’appliquer une loi qui ne vous plaît pas? Non? C’est parce que vous n’êtes pas banquier. Une loi d’avril 2007 obligent les banques à avancer la garantie locative à ses clients manquant de moyens. A charge des clients d’effectuer chaque mois un versement, pendant maximum trois ans, pour reconstituer le montant de la garantie. Logique: les banques croulent sous de tonnes d’euros, tandis que beaucoup de locataires n’arrivent pas à sortir l’équivalent de deux ou trois mois de loyer en plus du loyer du premier mois.

En novembre, les banques ont discrètement introduit auprès de la Cour constitutionnelle une objection contre cette loi. Mais elles appliquent aussi des trucs et ficelles pour se soustraire à leurs obligations. Fortis, par exemple, demande 250 euros de frais de dossier. ING demande 100 euros de frais, majorés d’une commission annuelle de 2% avec un minimum de 25 euros. Ces frais ne se justifient puisque pendant la durée de reconstitution de la garantie locative, les banques peuvent conserver les intérêts. Mais il s’agit clairement d’exclure les locataires qu’elles estiment non solvables. Or, c’est justement pour les personnes en difficulté financière que la loi a été votée.

5. Le racolage aux écoles

Le mépris des banques envers leurs clients, en termes de limitation des services, ne les empêche pas, bien sûr, de faire du racolage envers la clientèle. C’est elle, finalement, qui les alimentent. Et rien de tel, pour arracher des clients, que de les fidéliser dès les bancs de l’école.

Le problème, c’est qu’ici aussi, des banques violent la loi. Ainsi, le Crioc (Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs) a déposé une triple plainte contre ING. Profitant du manque de moyens accordés à l’enseignement, la banque proposait gratuitement aux enseignants du primaire un jeu intitulé « Le compte est bon ». But: permettre aux enfants de se familiariser en jouant avec le monde de l’argent et les opérations bancaires. A la fin de la formation, il est prévu la visite d’une agence bancaire… ING.

Ce racolage viole d’abord le Pacte scolaire de 1959 qui interdit les activités commerciales à l’école, note le Crioc. Secundo, il s’agit d’une entrave au code du marketing bancaire à l’égard des mineurs. Et tertio, il viole le respect de la vie privée.

En 2004, le Crioc avait déjà pointé les sites internet sur lesquels les quatre principales banques du pays ciblent les jeunes. Ces sites ne respectaient pas les propres règles de conduite adoptées par le secteur bancaire en matière de marketing bancaire à l'égard des mineurs.

6. Les pressions sur le personnel

Les clients ne sont pas les seules victimes de la politique bancaire du «tout pour le profit». Naguère, les employés de banque étaient considérés comme des privilégiés, bénéficiant d’un haut salaire et d’une sécurité d’emploi. Mais ce temps est révolu. «Aujourd’hui, nous confie un délégué syndical de Fortis, j’évite de demander "ça va? " quand je croise un affilié, car je sais d’avance que la réponse sera négative.»

Les fusions, l’informatisation, la fermeture des agences ont provoqué un sérieux dégraissage: de 1990 à 2005, le secteur bancaire a liquidé 16000 emplois (l’effectif passant de 108000 à 92000)3. La pression du travail a augmenté parallèlement.

«C’est dans les agences que le stress est le plus fort, poursuit le délégué. Ils font eux-mêmes beaucoup de tâches qui étaient jadis réalisée au siège central. Et surtout, il y a la pression des objectifs commerciaux à atteindre. Il faut être toujours plus rentables, toujours plus proactifs.Si on n’atteint pas les objectifs, on risque une évaluation négative.»

La reprise d’ABN-Amro impose une compression des coûts, déclare la direction. «Pas nouveau: c’est toujours la même chanson, se rappelle un autre délégué de Fortis. Et comme les salaires représentent 70% des frais, ce sont eux qui sont visés.» Pas le salaire de l’administrateur délégué Jean-Paul Votron, qui se calcule en millions d’euros par an. Par contre, le syndicaliste constate que«hors index et à part certaines primes et avantages comme des tickets restaurants, il n’y a pas eu de véritable augmentation du salaire brut depuis au moins vingt ans.»

Vingt ans! On croit rêver. Dans le secteur de l’économie accaparant le plus de bénéfices… Et l’avenir ne s’annonce pas trop bien puisque la direction a fait passer une nouvelle grille salariale basée sur le mérite. «La partie variable du salaire est encore assez réduite, mais une fois le principe imposé, elle risque de s’accroître. Une façon d’introduire la concurrence entre les travailleurs. La jungle, quoi.»

7. Des investissements fort peu éthiques

Crédits, investissements directs ou via des fonds d’investissements proposés à leurs clients: les principales banques du pays ont des intérêts dans des entreprises pas toujours reluisantes. C’est ce qu’on découvre sur le superbe site internet www.bankgeheimen.be (trilingue NL, FR, ENG), réalisé par l’asbl Netwerken Vlanderen.

Le site se présente sous la forme d’une carte du monde. En cliquant sur le logo d’une des huits banques analysées (Dexia, Fortis, ING, KBC, ABN-Amro, Deutsche Bank, Citibank et Axa), des logos apparaissent sur le planisphère aux endroits où celle-ci a des intérêts douteux.

Il s’agit d’entreprises qui violent les droits humains fondamentaux. Comment? En produisant des armes vendues à des dictateurs. En privant les populations locales d'accès à la terre et à l'eau. En étant impliqué dans des expropriations forcées et des pollutions graves et irréversibles. Etc.

Le site et le rapport qui l’accompagne ont été lancé en collaboration avec le syndicat chrétien des employés LBC. Son porte-parole, Stefaan Decock, déclare: «Ce type d'investissements ne peut plus être toléré. Nous pensons que les institutions financières devraient tenir compte de normes importantes en matière d'environnement et de droits humains dans leurs décisions d'investissement.»

8. La dette de l’Etat et des communes

S’il est un bon client des banques, en Belgique, c’est bien l’Etat. Fin 2007, la dette de l'Etat fédéral s'élevait à 285,81 milliards d’euros. Ce qui fait que plus d’un quart (27,4%) du budget de l’Etat sert à rembourser la dette: 13,35 milliards d’euros en 2007. Comme cet endettement dure depuis des décennies, les banques ont déjà récupéré plusieurs fois leur mise.

Outre la dette de l’Etat fédéral (environ 90% de l’endettement public), il y a aussi la dette des communautés et régions (5%), ainsi que celle des communes (5%). Cette dernière tourne autour de 15 milliards d’euros. Pour leur financement, les communes ont un partenaire privilégié: Dexia détient plus de 80% de ce marché. Lorsque la «banque des communes» s’appelait encore Crédit communal et était un organisme public, on pouvait supposer qu’elle n’était pas tentée de s’enrichir exagérément aux dépens de ces bons clients que sont les collectivités locales.

Mais est-ce toujours le cas depuis que la banque est privatisée, même si les communes détiennent encore une partie du capital? Un événement sème le doute: fin 2005, Dexia a fait le tour des communes pour leur proposer un produit qui réduirait le taux d’intérêt sur leur dette. Mais ce produit évolue en fonction des marchés financiers: si l’écart entre les taux à court terme et les taux à long terme est inférieur à 1%, alors le taux augmente au lieu de diminuer. Et c’est ce qui s’est passé en 2007. Le journal Le Soir donne ainsi l’exemple d’un taux qui plutôt que de passer de 5% à 4% monterait à… 9,45%. 4

Il y a longtemps que les banques ont compris que l’Etat était une poule aux œufs d’or et en ont fait un axe de leur stratégie. En témoigne, ce rapport publié par Fortis en 2004, dans un passage concernant sa filiale assurances des Pays-Bas: «Grâce à l'implication de directeurs de Fortis ASR dans les organisations telles que la Verbond van verzekenaars (fédérations des compagnies d'assurances), nous sommes en mesure d'influer sur l'élaboration de la politique et la matière au niveau national. Notons notamment l'accélération du débat sur la privatisation de la sécurité sociale.5»

Après avoir goûté des intérêts de la dette publique et de la privatisation des organismes publics de crédit, les banques se sont lancées dans le lucratif secteur des bâtiments d’Etat. Il faut dire que certaines filiales bancaires (comme Fortis Real Estate) sont déjà des acteurs de premier plan dans l’immobilier en général. Alors vous pensez, quand c’est l’Etat qui, pour boucler un budget facilement, vous vend un immeuble à bas prix avec la garantie de vous le reprendre en location au prix fort, il n’y a pas de quoi hésiter.

Ainsi, KBC est devenu propriétaire du palais de justice de Gand (heureusement que l’affaire KB-Lux n’y est pas jugée…), Dexia est associé dans le rachat de la tour des Finances et de la cité administrative voisine à Bruxelles, Axa a racheté l’ancien siège du ministère de l’Emploi et du Travail et a failli emporter la vente aux enchères de 63 bâtiments publics. Quant à Fortis, elle aurait racheté des bâtiments du ministère des Finances via une filiale luxembourgeoise.

9. La fraude, une spécialité des banques

Affaire KB-Lux, affaire Lernout & Hauspie (mouillant Dexia), fraude aux droits de succession de l’ex-Crédit communal… L’actualité judiciaire semble tout faire pour nous rappeler l’expression célèbre de Bertolt Brecht: «Il y a pire que de braquer une banque, c'est d'en fonder une.» Rappelons quelques-unes de ces affaires.

• L'affaire KB-Lux. Ce 11 janvier, la Chambre du conseil de Bruxelles a ordonné le renvoi de 15 personnes en correctionnelle dans le cadre de ce dossier qui remonte à 1994. Cette année-là, des employés de la KB-Lux, filiale luxembourgeoise de la Kredietbank (l'actuelle KBC), livrent à la justice des listings de riches clients belges auxquels la KB-Lux a proposé des formules pour frauder le fisc. On découvrira plus tard que les agences belges de la Kredietbank jouaient le rôle de rabatteur vers la KB-Lux. Au total, la fraude se chiffrerait à 150 millions d'euros. En 1999, les enquêteurs constatent que la Kredietbank a aussi élaboré des mécanismes pour blanchir de l'argent criminel: carrousels à la TVA, trafic d'hormones, scandale de la dioxine, etc. Mais le dossier a traîné, les avocats de fraudeurs ont multiplié les batailles de procédure, comme exiger la traduction intégrale des pièces du dossier, ce qui a pris 18 mois. Plus fort: ils ont porté plainte contre le juge Jean-Claude Leys, qui a instruit l'affaire, au motif que l'instruction serait entachée d'irrégularités (il a finalement été blanchi).

• L'affaire QFIE. Quotité forfaitaire d'impôt étranger. Ce nom barbare est celui d'une disposition fiscale dont le but est d'éviter une double imposition de certains revenus mobiliers perçus à l'étranger. Mais à la fin des années 80, quatorze banques (tous les grands établissements du pays) ont abusé de cette technique de façon frauduleuse pour éviter l'imposition tout court de quelque 500 clients ou d'elles-mêmes. Montant total de la fraude: 360 millions d'euros. Plus de quinze ans après les faits, il n'y a toujours aucun renvoi en correctionnel. Sur les trente montages organisés par les banques, cinq seulement ont fait l'objet d'un réquisitoire du parquet.

• Le dossier Dexia-Crédit Communal. Cette affaire de fraude aux droits de succession passe devant la justice à Bruxelles à partir du 26 février. Quatre anciens cadres du Crédit communal (Dexia), dont l’ex-président François Narmon, sont visés par la justice. La fraude a été dénoncée en 1999 par un employé qu’avait licencié la banque. Preuves à l'appui, il a dévoilé des pratiques permettant aux héritiers d'antidater une série d'opérations afin de vider les coffres et les comptes d'un client défunt en évitant les droits de succession. Huit mille clients en auraient bénéficié entre 1988 et 1998. Un préjudice évalué à 100 millions d’euros par l’administration fiscale.

• L’affaire Lernout & Hauspie. Le méga-procès des dirigeants de cette société d’Ypres spécialisée dans la reconnaissance vocale a débuté en mai 2007. Le fleuron technologique flamand, si prometteur, s'est transformé en affaire frauduleuse: rapports financiers falsifiés, manipulation du cours de Bourse, tromperie, escroquerie... Parmi les 21 accusés, figurent la société d’audit KPMG et la banque Dexia. Le parquet reproche à Artesia (absorbé depuis par Dexia) d'avoir fait des prêts qui ont contribué à gonfler artificiellement le chiffre d'affaires de L&H. Sans respecter les procédures internes, la banque aurait intentionnellement décrit de manière vague le but ultime de ces crédits.

En août, une plainte complémentaire a été introduite contre Dexia pour blanchiment d'argent, par la société singapourienne Velstra. Basée à Singapour, celle-ci avait investi 30 millions de dollars dans L&H. La banque se serait appropriée cet argent afin de rembourser des prêts impayés.

10. Le refus d’appliquer la directive anti-blanchiment

La propension des banques à être impliquées dans les affairesde fraude s’explique pour le double privilège qu’elles ont d’être au centre des transactions financières et de bénéficier d’un secret dont les autres entreprises ne peuvent se prévaloir face au fisc.

Notez bien, selon le ministre des Finances, Didier Reynders (MR), ce secret serait une fable: «Je rappelle toujours, au cas où certains l'oublieraient, qu'en Belgique le secret bancaire n'existe pas.» Evidemment, on rappellera que c’est ce même Reynders qui a présidé le conseil d’administration d’une banque. Le même, aussi, qui fréquente toujours de nombreux dirigeants de la haute finance. Le même, encore, qui est tout bouleversé lorsque les médias osent pointer l’importance des bénéfices bancaires: « J’ai parfois l’impression qu’on classe ce secteur en dehors du monde réel, c’est lié à une idéologie voire à une démagogie sur le thème de la spéculation. »

Pourtant, sur la question du secret bancaire, le contradicteur le plus implacable de Reynders n’est pas un idéologue, mais l’article 318 du Code des impôts sur les revenus: « L'administration n'est pas autorisée à recueillir, dans les comptes, livres et documents des établissements de banque, de change, de crédit et d'épargne, des renseignements en vue de l'imposition de leurs clients. » Certes, il existe une procédure pour lever ce secret en cas de fraude avérée, mais elle est si difficile à mettre en œuvre que le dernier rapport annuel de l’administration fiscale constate: « En 2005, aucune levée du secret bancaire au titre de l’article 318 CIR 92 n’a eu lieu. »

Les banques, gardiens de la fraude? L’expression paraît exagérée, mais c’est pourtant l’impression qui ressort encore de la décision de Febelfin, en novembre dernier, de ne pas appliquer la directive Onkelinx sur le blanchiment d'argent. La fédération du secteur financier juge cette directive inapplicable. En fait, elle les obligerait à déclarer des clients à la cellule anti-blanchiment d'argent pour des soupçons de fraude fiscale.

La discussion concerne la liste des quinze indicateurs pour la fraude fiscale grave et organisée que les banques doivent utiliser pour juger quelles transactions financières sont suspectes. Pour les banques, ces indicateurs sont simplement un moyen d'aide, alors que selon la directive, les banques doivent déclarer leurs clients dès que l'un des quinze indicateurs est rempli.

«Dans notre pays, les banques font elles-mêmes les analyses sur les transactions financières suspectes», défend la porte-parole de Febelfin, Marina De Moerloze. On suppose qu’elle ne parle pas des affaires KB-Lux et consort…

11. Les banques raflent la manne des intérêts notionnels

Les intérêts notionnels, c’est cette nouvelle déduction fiscale dont les entreprises peuvent bénéficier sur des intérêts qui n’existent pas. Une invention du ministre Reynders qui coûte très cher aux finances publiques.

Au départ, le gouvernement avait prévu un demi-milliard pour cette mesure. Aujourd’hui, on ne connaît pas encore le coût réel, mais on sait déjà que ce sera plusieurs fois cette somme.

Parmi les causes de ce gros dépassement budgétaire, il y a le fait que pratiquement tous les bureaux de conseil ont carburé à plein régime pour permettre aux entreprises de déduire le plus possible d’intérêts notionnels. Si nécessaire, à l’aide de montages fiscaux très élaborés.

Or, en matière de montages fiscaux, les banques ne sont généralement pas en reste (voir par exemple, la QFIE mentionnée plus haut). Normalement, les banques n’auraient pas dû bénéficier des intérêts notionnels car ceux-ci sont exclus pour des maisons-mères détenant les actions de nombreuses filiales. Mais grâce à ces montages, les banques et compagnies d’assurances ont finalement avalé à elle seules le demi-milliard que le gouvernement avait budgeté pour l’ensemble des entreprises du pays.

Vivra-t-on dans une dizaine d’années un nouveau procès fleuve mettant en cause les banques sur fond d’intérêts notionnels? Pas de risque, car cette fois, elles ont soumis leurs montages à la commission du ruling, une instance du ministère des Finances qui donne un avis préalable sur des questions potentiellement litigieuses. Et l’avis de la commission a été positif. Avec l’aval du ministre Reynders, croit savoir le journal De Tijd.

1 Sud Presse, 4-11-2005. • 2 Le Soir, 25-9-2007. • 3 Le Soir, 2-12-2005. • 4 Le Soir, 20-10-07. • 5 www.mediaterre.org/rsdd/actu,20050506133828,3.html

Quelques pistes pour limiter les pouvoirs de votre banquier

Imposer un service minimum gratuit. Naguère, les banques ne faisaient pas payer de frais de gestion sur les comptes bancaires. Normal : elles font fructifier l’argent qui s’y trouve. Aujourd’hui qu’elles ont remplacé le personnel des agences par des automates, elles appliquent des redevances de plus en plus élevées. Pourquoi ne pas imposer aux banques l’octroi à tous leurs clients d’un service minimum gratuit ? Il comprendrait la gestion du compte, une carte bancontact-proton, les virements électroniques et les retraits à n’importe quel guichet automatique.

Contrôler les taux d’intérêts. Les autorités devraient surveiller le niveau des taux d’intérêt et enquêter sur les suspicions d’ententes entre les grandes banques quant à la fixation de ces taux. Il pourrait aussi interdire des écarts trop importants entre les taux de l’épargne et ceux des crédits.

Lever le secret bancaire. La Belgique est, avec le Luxembourg et l’Autriche, un des rares pays de l’Union européenne où prévaut le secret bancaire. Lorsqu’on voit toutes les affaires de fraude dans lesquelles sont impliquées les banques, Comment ne pas défendre la levée de ce secret?

Appliquer une taxe spéciale sur les banques. Selon les calculs effectués par Le Soir en 2001, le taux réel d’impôts payé les banques était alors de 8,5 %. Depuis, ce taux a encore dû diminuer puisque le taux officiel de l’impôt des sociétés est passé de 40 à 34% et qu’il y a eu les intérêts notionnels. Il n’est pas normal que ce secteur foncièrement parasitaire soit si peu taxé. Pourquoi ne pas instaurer une taxe spéciale sur les banques qui les obligerait à payer au total un montant équivalent au taux officiel de l’impôt des sociétés (34%)?

Eviter les conflits d’intérêts. Les quatre principales banques actuelles du pays ont, dans leur histoire récente, eu parmi leur personnel dirigeant d’anciens ou futurs ministres des Finances. Afin d’éviter les conflits d’intérêts, ne faudrait-il pas interdire qu’un ministre des Finances et les membres de son cabinet aient travaillé pour une banque?

Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 23 janvier 2008

01.09.2008. 19:39

 

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