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Coût officiel des intérêts notionnels
La Banque nationale a calculé le coût des intérêts notionnels et évalué
son impact sur l’économie et l’emploi. Un impact qu’elle juge limité.
Les intérêts notionnels, déduction fiscale accordée aux
sociétés sur leurs bénéfices à partir de 2006, devaient faire l’objet
d’une évaluation par la Banque nationale. Cocasse lorsque l’on sait que
celle-ci a elle-même bénéficié d’une déduction de 17 millions € grâce
à cette invention attribuée à un fiscaliste de la FEB et mise en loi par le
ministre des Finances Didier Reynders (MR). L’étude vient d’être rendue
publique ce 22 juillet . Voici ses principaux enseignements.
• Le coût brut des intérêts notionnels
Beaucoup d’estimations ont été lancées sur le coût des
intérêts notionnels pour les finances publiques. Il y a pourtant un moyen
imparable de connaître le vrai chiffre, comme nous l’écrivions dans une étude
: additionner le code 092 de toutes les déclarations fiscales des sociétés,
le code relatif à la déduction des intérêts notionnels. Il suffit alors de
multiplier cette somme par le taux de l’impôt pour connaître le coût
officiel. C’est ce qu’a finalement fait le SPF Finances, sur demande de la
Banque nationale.
Conclusion : le coût est de 2,325 milliards € pour 2006,
la première année. Si l’on ajoute les 60 millions € d’une mesure liée,
l’abolition des droits d’enregistrement sur les apports en société, on
atteint 2,385 milliards €. Toutefois, la Banque nationale indique qu’il
s’agit d’un coût brut et que différents éléments doivent être déduits
pour connaître le coût net de la mesure.
• Le coût net des intérêts notionnels
Si le chiffre de 2,3 milliards est clair, certaines
estimations pour évaluer un coût net sont… nettement moins nettes. Pour
parvenir à ce coût net, la Banque nationale déduit du coût brut six éléments.
Dont certains sont contestables.
1. Elle déduit logiquement les mesures que le gouvernement
avait avancées lors du vote de la loi, en 2005, pour compenser le coût des intérêts
notionnels. Il s’agit de la suppression de différentes autres déductions
fiscales pour un total de 717 millions €.
2. Il y a l’éternel argument de Reynders chaque fois
qu’il accorde des cadeaux fiscaux : cela ne va rien coûter à l’Etat grâce
à l’effet de retour sur l’économie. Sauf que la Banque nationale retient
pour ce poste… à peine dix petits millions d’euros. Soit 0,4 % du coût
brut.
3. La Banque nationale retire 465 à 745 millions € de
gains d’impôts réalisés par les détenteurs de capitaux étrangers qui ont
investi en Belgique pour bénéficier des intérêts notionnels. Argument : sans
ce cadeau, ils n’auraient pas investi et cela n’aurait rapporté aucun impôt
aux finances publiques. Aux finances publiques belges, peut-être… Mais
c’est de l’impôt en moins dans d’autres pays. Si l’on s’écarte de
l’idéologie dominante qui postule la compétition économique entre pays,
c’est un transfert des poches de l’internationale des travailleurs
contribuables vers celles de l’internationale des actionnaires des
entreprises.
4. La Banque nationale retire aussi 52 à 67 millions € au
motif que certaines entreprises ont réduit leurs dettes en augmentant leurs
fonds propres (= capital et bénéfices réinvestis dans l’entreprise, qui
servent de base de calcul aux intérêts notionnels). Argument : les intérêts
notionnels sont compensés par les intérêts réels qui ne sont plus payés sur
ces dettes et ne sont donc plus déduits fiscalement. On peut objecter que les
créanciers de ces dettes ne seront, eux, plus taxés sur les intérêts
qu’ils perçoivent.
5. Un montant de 561 millions est retiré pour tenir compte
des centres de coordination qui ont cessé de bénéficier ou de revendiquer
l’application du régime fiscal spécifique à ces centres. Ce que le fisc
perd via les intérêts notionnels, il le récupère par la non-application de
ce régime préférentiel, raisonne la Banque nationale. Une façon de voir
contestable puisque le régime fiscal des centres de coordination a été
condamné par l’Union européenne. Les intérêts notionnels se substituent
donc à un cadeau fiscal qui aurait dû disparaître.
6. Enfin, l’étude retire 149 millions € qui
correspondent aux pertes antérieures que les sociétés n’ont pas déduites
fiscalement parce que les intérêts notionnels viennent avant dans l’ordre
des éléments à déduire du bénéfice. Si les intérêts notionnels
n’avaient pas été créés, relève la Banque nationale, ces sociétés
n’auraient de toute façon pas été imposées sur ce montant, puisqu’elles
auraient déduit leurs pertes antérieures. C’est vrai à court terme, mais à
plus longue échéance, la perte pour les finances publiques est réelle.
En conclusion, la Banque nationale estime que le coût net
des intérêts notionnels pour 2006 se situe entre 140 et 430 millions €.
Toutefois, des six éléments qu’elle avance, seul le premier nous semble
incontestable. Ce sont les mesures qui devaient assurer la neutralité budgétaire
des intérêts notionnels. 717 millions contre 2,3 milliards : on est loin du
compte…
• Le coût risque d’exploser les prochaines années
L’étude de la Banque nationale porte sur l’année 2006.
Mais, note le rapport, « l’avantage fiscal dont bénéficient les sociétés
pourrait encore nettement se renforcer dans les prochaines années du fait de
plusieurs évolutions ». Et de citer : l’augmentation continue des fonds
propres ; la suppression de l’ensemble des centres de coordination pour fin
2010 ; l’augmentation du taux des intérêts notionnels (de 3,4 % en 2006 à
4,3 en 2008) ; la possibilité pour les sociétés de déduire durant sept années
les intérêts notionnels qu’elles n’auraient pu déduire par manque de bénéfices
taxables.
« Le poids de plusieurs de ces facteurs pourraient s’avérer
considérable, conclut la Banque nationale. Il n’est dès lors pas exclu que
les recettes publiques provenant de l’impôt des sociétés en pâtissent
largement à l’avenir ».
• A peine un cinquième des intérêts notionnels va aux PME
Quelque 97 % des sociétés belges sont des petites et
moyennes entreprises (PME). Et parmi les divers alibis avancés pour vendre les
intérêts notionnels, il était question d’améliorer la santé financière
des PME. Or, la Banque nationale indique qu’elles n’ont droit qu’à 21 %
de la manne des intérêts notionnels.
Par contre, les centres de coordination (qui recourent aux
intérêts notionnels plutôt qu’au régime fiscal des centres de
coordination) et les sociétés de financement totalisent à elles seuls 41 % de
la manne. Ces sociétés de financement fonctionnent selon le même principe que
les centres de coordination : c’est une filiale d’un groupe d’entreprise
qui joue le rôle de banque envers les autres filiales du groupe. Telle la société
Randstad Financial Services que le groupe néerlandais d’intérim a créée en
Belgique en 2006 et qui a déduit 26 millions € d’intérêts notionnels sur
un bénéfice de 26 millions € tout en créant magistralement… deux équivalents
temps plein.
Répartition des intérêts notionnels par
type de sociétés
|
|
PME
|
21 %
|
Grandes entreprises non financières
|
32 %
|
Banques et compagnies d'assurances
|
6 %
|
Sociétés de financement
|
26 %
|
Centres de coordination
|
15 %
|
TOTAL
|
100 %
|
• Une influence marginale sur l’emploi
Quels ont été les effets des intérêts notionnels ? Le
rapport leur attribue une forte hausse des capitaux propres des sociétés, qui
sont passés de 523 milliards € en 2005 à 628 milliards € en 2006. Mais
cette hausse de 105 milliards est en grande partie - 67 milliards - due aux sociétés
de financement des grands groupes. Alors que pour les PME, l’augmentation
n’est que de 9 milliards.
La Banque nationale estime qu’à court terme, l’impact
des intérêts notionnels sur l’économie réelle est limité. Se basant sur
une modélisation théorique qui vaut ce qu’elle vaut, le rapport avance que
la mesure « semble avoir un effet positif, mais d’importance marginale, sur
l’emploi ». Pour l’année 2006, le rapport cite ainsi un chiffre de… 300
emplois. Cela fait cher l’emploi.
On se demande aussi pourquoi la Banque nationale, qui
distingue le coût brut du coût net des intérêts notionnels, ne fait pas la même
chose pour l’impact sur l’emploi. En clair : si le budget des intérêts
notionnels avait été utilisé pour doper le pouvoir d’achat, cela aurait
booster la demande et donc l’emploi. Imaginons – pure hypothèse – que
cela ait créé 30 000 emplois. On pourrait alors conclure que les intérêts
notionnels sont responsables de la perte nette de 30 000 – 300 = 29 700
emplois. Non ?
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 25 juillet 2008
01.09.2008. 15:53
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