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Le château Boël de Falaën

Même s'il n'est plus habité par des Boël, ce château qu'a fait construire un des fils de Gustave Boël appartient toujours à la famille.

La petite localité de Falaën, sur la commune d'Onhaye, près de Dinant, abrite plusieurs châteaux. Dans le centre du village, on trouve un château-ferme du 17e siècle. Plus décentrées, le long de la Molignée, les ruines du château de Montaigle, perchées sur un rocher, apparaissent majestueusement au détour d'un tournant. Le château date du 14e siècle, mais des fortifications existaient déjà au bas-empire romain.

A quelques centaines de mètres de là, au début du chemin qui mène aux ruines de son illustre voisin, encore un château, quoique nettement moins connu. Sans doute parce que sa relative jeunesse et son style néo-renaissance suscitent moins d'intérêts. Dans le coin, cette bâtisse est connue sous le nom de "château du Marteau" ou "château Boël". Cette dernière appellation n'est pas déméritée puisque les Boël l'ont construite et en ont toujours été propriétaires.

Jean-Marie Léonard a grandi dans ce quartier de Falaën. Sa grand-mère maternelle, Marceline, appartenait à la famille Tonon, qui tenait l'ancienne auberge de la Truite d'or, ainsi qu'une blanchisserie. Il y a plus d'un siècle, les deux frères de Marceline, Joseph et Alphonse Tonon, font la connaissance de Georges Boël, qui vient régulièrement sur les lieux pour pêcher et chasser. Il va les convaincre de lui vendre l'auberge, ainsi que les maisons et terrains aux alentours, afin qu'il puisse s'y faire construire un château.


L'ancienne auberge de la Truite d'or (Carte postale oblitérée en 1910)

Georges Boël est l'un des fils du célèbre industriel Gustave Boël (1837-1912), qui donnera son nom aux usines sidérurgiques de La Louvière et à l'une des familles figurant aujourd'hui dans le top 15 des plus grosses fortunes de Belgique. A la mort de Gustave, c'est Georges et surtout son frère Pol-Clovis (1868-1941) qui reprennent ses mandats dans de nombreuses sociétés.

L'auberge est donc rasée pour laisser place au château qui se trouve toujours au n°1 de la rue du Marteau, le long de la Molignée. Une autre auberge de la Truite d'or sera toutefois reconstruite un peu plus loin. Joseph et Alphonse Tonon, eux, sont engagés par Georges Boël comme régisseurs. Le premier rue Royale à Saint-Josse, une des dix-neuf communes de Bruxelles(la maison existe toujours au numéro 288), le second au Marteau. "Ils sont eux-mêmes pris pour de petits aristos", relève aujourd'hui leur petit-neveu. Ils seront notamment responsables de la pèche, s'en allant avec les "monseus". Alphonse et sa femme Adèle vivent d'ailleurs dans une partie du château.


Georges Boël (Collection JML)

De quand date celui-ci ? Selon le cadastre, de la période allant de 1850 à 1874. Une information qui semble assez éloignée de la réalité. En effet, on trouve des photos de l'hôtel de la Truite d'or datant encore de 1896 ou 1901. De même qu'une carte postale du même hôtel oblitéré à la date du 25 juillet 1910, alors qu'une autre, représentant le château qui remplace l'hôtel, est oblitérée à la date du 1er juin 1914. Mais bien sûr, une carte peut être expédiée après que l'élément qui y figure ait disparu.

Selon Roger Louwette - dit "Chaton" -, actuel locataire du château, la construction de ce dernier commence en 1904 pour s'achever quelques années plus tard, vers 1908. Il tient ces précisions de Lucien Boël (1903-1999), fils de Pol-Clovis. Au départ, Georges Boël veut faire construire un château beaucoup plus grand, mais le bourgmestre de Falaën, avec lequel il est en conflit, ne lui en donne pas l'autorisation. C'est ainsi qu'avec le surplus de pierres - des pierres taillées sur place - seront bâties des annexes qui à elles seules font figure de petit château.


Le château Boël (Carte postale oblitérée en 1914)

Après la Première guerre mondiale, Georges Boël rachète encore des bois tout proches à la famille de Rosée. Celle-ci possède alors une fonderie de cuivre qui, contrairement à l'usine des Boël, ne bénéficie pas d'indemnités de guerre.

Toutes les terres et les quelques bâtisses deviennent donc propriétés des Boël. Toutes, sauf une : la maison de Marceline Tonon et son époux Auguste, qui appartient toujours à leur petit-fils Jean-Marie Léonard. Une vieille maison de pierres construite sur une tour remontant au moins au 16e siècle. Le jardin de cette maison constitue une véritable enclave dans les terres des Boël qui longent la Molignée. Georges Boël va toutefois acquérir la propriété d'une bande de terrain d'un mètre de large, celle bordant la rivière. Une manière de se réserver l'exclusivité de la pèche.

Georges Boël meurt en 1939. D'autres membres de la famille continueront à venir à Falaën pour pêcher et chasser. En particulier Lucien et son frère Max (1901-1975), deux habitués des lieux. Mais ils n'occuperont plus le château. Pendant la Seconde guerre mondiale, le château est occupé par les Allemands. Après la guerre, à moins que ce soit déjà avant celle-ci, il est donné en location à Jean del Marmol. La famille del Marmol, originaire de Castille, a obtenu la reconnaissance de noblesse en Belgique en 1845. Et depuis 1865, elle est propriétaire des ruines de Montaigle. Elle a cependant laissé une association de bénévoles se charger de la restauration de ces ruines.

D'après Ludo De Witte , auteur d'un ouvrage sur l'assassinat de Lumumba, Jean del Marmol était pendant la Seconde guerre mondiale un officier de la résistance anticommuniste, exclu de la direction pour ses idées trop extrémistes. Après le départ des Allemands, il voulait absolument instaurer une dictature militaire sous la direction du roi Léopold III. En 1960, lorsque Patrice Lumumba est devenu Premier ministre du Congo devenu indépendant, Jean del Marmol a aidé le comte Harold d'Aspremont Lynden, ministre des Affaires africaines, à organiser la révolte contre Lumumba au Katanga. " Derrière Jean del Marmol, il y avait le groupe Lambert " , précise De Witte.


Georges Boël (sur son lit de mort) et Alphonse Tonon (Collection JML)

Faisons une brève comparaison. Alors que les Boël ont toujours été libéraux, les del Marmol sont clairement rattachés au catholicisme. Pendant la Seconde guerre mondiale, alors que Jean del Marmol est dans l'Armée secrète, les Boël mènent un double jeu : Lucien continue à diriger l'usine sidérurgique de La Louvière qui produit pour l'Allemagne, son frère René fait office de conseiller pour le gouvernement belge en exil. Alors que Jean del Marmol organise la déstabilisation d'un gouvernement congolais pour servir les intérêts du groupe Lambert, les Boël valorisent leurs propres intérêts au Congo avant et après l'indépendance. En effet, dès 1928, René Boël devient administrateur de Compagnie sucrière congolaise. Les familles Boël et Lippens sont, aujourd'hui encore, co-actionnaires de Finasucre, holding sucrier créé en 1929. Finasucre détient aujourd'hui la seule sucrerie fonctionnant encore au Congo. Une sucrerie où, au 21e siècle, les conditions de travail des coupeurs de cannes sont toujours proches de l'esclavagisme.

Mais revenons au château de Falaën. En 1954, les Del Marmol s'en vont dans le château de Montaigle, dont ils héritent. Ce gros château du 18e siècle est également situé à Falaën - encore un -, au numéro 4 de la rue de Montaigle. Il ne s'agit évidemment pas des ruines de Montaigle, mais d'un autre château des del Marmol portant le même nom. Il est toujours occupé aujourd'hui par Patrick del Marmol, fils de Jean et époux de… Hedwige d'Aspremont Lynden.

Après les del Marmol, c'est la famille Desclée de Maredsous, liée à l'abbaye du même nom, toute proche de Falaën, qui occupe le château. Au début des années 70, il est donné en location à Roger Louwette. Comptabilisant à ce jour 35 années de vie au château, "Chaton" se targue d'être celui qui l'a occupé le plus longtemps. "J'y vis avec ma famille", nous dit-il simplement. Selon d'autres sources, la bâtisse servirait aussi de résidence à quelques personnes handicapées de la haute aristocratie.

Qui est le propriétaire actuel du château ? Georges Boël n'avait mais pas de descendant. Il a donc cédé les propriétés de Falaën à la société anonyme Mobilière et immobilière du Centre, Samic en abrégé, qui regroupe une série de biens de la famille.

Aujourd'hui, la Samic est toujours propriétaire du château de Falaën, ainsi que d'un total de 43 hectares de parcs, pâtures, vergers, bois, prés et autres terres aux alentours. Elle détient aussi trois autres maisons dans la rue du Marteau, données en location à des particuliers. La société possédait également deux maisons à la rue de la Forge toute proche, vendues en 2004 à Roger Louwette. Seule la partie du parc la plus proche du château est encore entretenue aujourd'hui. A l'époque des Boël, un parc était aménagé sur une superficie nettement plus grande. On y trouvait des potagers, des pergolas, des pièces d'eau irriguées par la Molignée, des arbres majestueux probablement importés de contrées exotiques. Ces derniers sont toujours là, bien sûr, mais perdus dans la brousse qui a envahi les lieux. Sur les vieux murs en ruine qui ceinturent ce domaine, on voit encore les espaliers métalliques qui servaient à l'une ou l'autre culture suspendue. A l'époque, une quinzaine d'hommes travaillaient sur la propriété. Les Boël ont également laissé se délabrer les quelques maisons du lieu qu'ils donnent en location. Les aménagements réalisés sont le fait des locataires.


Le château Boël en 2007 (Photo Marco Van Hees)

Le château appartient donc à la Samic, mais à qui appartient la Samic ? On ne sait pas exactement. Bien sûr on sait qu'elle est contrôlée par la famille Boël, mais on ne sait pas quel membre de la famille détient quelle proportion du capital, car sur les 3 000 actions représentant celui-ci, seules 61 sont nominatives : celles détenues par la Société de participation industrielles, un autre holding des Boël. Les 2 939 autres actions sont au porteur… Le patrimoine immobilier de la Samic comprend encore une petite trentaine d'immeubles, surtout du côté de La Louvière, dont trois à usage de café. La société détient aussi toujours le prestigieux immeuble au numéro 288 de la rue Royale, à Saint-Josse (Bruxelles), dont le revenu cadastral s'élève à 8 155 euros. Elle comptabilise un total de 269 hectares de terres en Belgique et aux Pays-Bas. Mais ce patrimoine pèse peu par rapport au patrimoine mobilier. Les derniers comptes annuels (2006) déposés à la Banque nationale mentionnent un paquet d'actions pesant 75 millions d'euros. Les plus-values réalisées sur la revente d'actions (notamment 1 437 000 titres Heineken) ont permis à la Samic de dégager un bénéfice de 43,9 millions, sur lequel elle a payé un impôt de 104 742 euros, ce qui représente un taux de taxation de 0,2 %. Car il faut savoir que la législation fiscale belge ne taxe pas les plus-values sur actions. Il vaut donc mieux faire du profit en revendant des actions qu'en revendant un château…

Marco Van Hees
août 2007


Autres photos


La famille Tonon (Collection JML)


Alphonse et Adèle Tonon (Collection JML)


L'auberge de la Truite d'Or (Collection JML)


L'auberge de la Truite d'Or (Collection JML)


Alphonse Tonon dans les "jardins alpins" du château Boël (Collection JML)


Maria, la maîtresse de Georges Boël (Collection JML)


Georges Boël (de dos), le Dr Cheval, Solvay, Alphonse Tonon et d'autres participants à une des parties de chasse auxquelles participait parfois Paul-Emile Janson. (Collection JML)


Le château Boël (Collection JML)

19.06.2008. 00:10

 

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