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Elections
Le
programme du PS défend «un équilibre entre la taxation du travail et du
capital». Pourquoi rien de cela n’a été fait depuis que les
socialistes sont au gouvernement? Analyse.
«Après
30 années d'un libéralisme économique débridé, on sent un mal-être[1].»
Cette révélation est celle du président du PS, Elio Di Rupo. Le problème,
c’est que durant les 22 dernières de ces 30 années, son parti était au
gouvernement.
Un
passif si lourd à assumer que lorsque le député socialiste André Flahaut
veut stigmatiser la droite, il est acculé à un exercice d’archéologie
politique: «Les plus âgés
se souviendront qu’il y a eu des gouvernements sociaux-chrétiens – libéraux
qui ont fait les pouvoirs spéciaux à une époque[2].»
Une référence au gouvernement Martens-Gol, durant le dernier millénaire, début
des années 1980.
Flash-back
pour les plus jeunes. De 1980 à 2010, tous les compteurs sociaux ont tourné à
l’envers: salaires à la traîne sur les profits, emplois précaires,
pensions indécentes pour les retraités et encore plus les retraitées, soins
de santé de moins en moins remboursés, chasse aux chômeurs,dégradation
de l’enseignement, privatisations et démantèlement des services publics,
etc.
Par
contre, pas la moindre mesure pour faire payer les plus fortunés. Que du
contraire: la politique fiscale a été entièrement façonnée par
l’homme qui parle à l’oreille des riches, le ministre des Finances Didier
Reynders (MR), avec l’assentiment des socialistes en conseil de ministres et
au Parlement.
Si
Di Rupo coachait non le PS, mais les Diables rouges, il y a longtemps qu’il
aurait été remercié pour absence de résultat. Pourquoi ces actes manqués?
Impuissance politique? Déficit idéologique? Analysons trois
dossiers emblématiques.
1.
La lutte contre la fraude fiscale
La
lutte contre la fraude fiscale est l’un des principaux axes de l’actuelle
campagne électorale du PS. Le problème, c’est que ce point figurait déjà
dans les priorités du PS aux élections de 1991, 1995, 1999, 2003 et 2007.
Durant
la dernière législature, il est vrai, des députés PS comme Marie Arena ou
Alain Mathot se sont profilés sur ce dossier. Le second était d’ailleurs
membre de la Commission d’enquête parlementaire sur la grande fraude fiscale
(2008-2009). Celle-ci a mené des travaux pharaoniques offrant une mine
d’infos et un ambitieux cahier de recommandations. Problème: seules 8
des 108 recommandations de la Commission ont été adoptées.
Selon
Mathot, « ce maigre bilan est à mettre
sur le compte de ceux qui avaient en main les départements pour lutter contre
la grande fraude fiscale[3].»
En clair, les libéraux Reynders et Clerfayt. On retrouve ici le «syndrome
Calimero» qui caractérise le discours du PS: c’est trop injuste,
dans le système politique proportionnel belge, les socialistes n’arrivent pas
à mener une politique de gauche à cause des libéraux, à cause des flamands,
quand ce n’est pas à cause de l’Union européenne ou de la finance
internationale...
On
est en droit d’attendre un peu de cohérence. Soit il faut absolument voter
socialiste pour construire un rempart contre la droite. Soit l’impuissance
politique du PS face au libéralisme financier flamando-européen est une réalité
historique incontournable. Mais dans ce cas, admettons que les socialistes sont
autant un rempart face à la droite que les digues de la Nouvelle-Orléans face
à l’ouragan Katrina.
À
ce propos, on rappellera que le même PS, qui fait de la lutte contre la fraude
son cheval de bataille, a voté les amnisties fiscales à répétition conçues
par le ministre des Finances. Pour y arriver, Didier Reynders a-t-il menacé
d’une arme à feu sa «camarade» Laurette Onkelinx[4]
et les parlementaires socialistes?
Le
meilleur moyen de lutter contre les grands fraudeurs ne serait-il pas de
nationaliser les principaux organisateurs des plus importantes affaires de
fraude (KB-Lux, QFIE, etc.), les banques? Ces mêmes banques dont, par
ailleurs, on connaît la responsabilité dans la crise financière et dans la
gigantesque dette de l’Etat. Pourtant, assez étrangement, la gauche
socialiste (pas plus qu’Ecolo, d’ailleurs) ne défend pas une telle option.
Option
sans doute trop à gauche, même si François Mitterrand (pas spécialement un révolutionnaire)
avait nationalisé des banques françaises dans les années 1980. à
l’inverse, on peut avancer que le PS d’Elio Di Rupo a participé deux fois
à la privatisation de la CGER: la première fois en vendant cette banque
publique à Fortis (1993-1998), la seconde en cédant à BNP Paribas (2009) une
Fortis renationalisée pour cause de quasi-faillite.
En
retrait par rapport à cette option, les députés Mathot et Arena ont introduit
une proposition de loi, assez médiatisée, sur la levée du secret bancaire.
Mais le syndrome Calimero refait son apparition dans ce dossier: cette
proposition n’a pu être débattue à la Chambre à cause des libéraux
flamands qui ont fait chuter le gouvernement.
Cela
dit, si un tel débat avait eu lieu, on aurait constaté que la proposition
socialiste ne défend pas la suppression du secret bancaire. En effet, ce secret
est inscrit dans le code des impôts sur les revenus, à l’alinéa premier de
l’article 318. Or, la proposition de loi ne modifie pas cet alinéa. Tout ce
qu’elle fait, c’est alléger un peu la procédure qui permet, dans certains
cas, de lever le secret bancaire. On est donc loin d’une législation comme
celle de la France, par exemple, où les banques, considérées comme
n’importe quelle autre entreprise, n’ont aucun statut privilégié face aux
pouvoirs d’investigation du fisc.
2.
La taxation des grosses fortunes
Pour
qu’une (véritable) levée du secret bancaire puisse être largement admise
par la population, l’idéal est qu’elle soit couplée à une taxation des
plus riches. Une mesure comme la «Taxe des millionnaires» – dont
le PTB a fait une vaste campagne– qui épargne la majorité de la
population puisqu’elle ne touche que 2% des ménages.
Bien
sûr, le PS peut affirmer à raison que, dans un coin de son programme, on
trouve la revendication d’une «cotisation de solidarité sur les très
gros patrimoines[5]».
Une revendication si discrète qu’elle passerait presque pour un secret
d’Etat. Une revendication si peu importante que,
même si elle est reprise dans chaque programme depuis 1991, elle
n’a fait l’objet d’aucune proposition de loi des parlementaires
socialistes.
Pourtant,
dans la France de Sarkozy, il existe un impôt de solidarité sur la fortune et
certains envisagent de réduire le bouclier fiscal qui le limite pour répondre
aux défis budgétaires actuels. Quant à la Belgique, depuis les années 1990,
les milieux associatifs et le monde syndical ont mené plusieurs campagnes pour
taxer les gros patrimoines.
C’est
d’ailleurs dans cette foulée que Jean-Marc Delporte, un des principaux
dirigeants du ministère des Finances, étiqueté socialiste, avait publié un
rapport sur la faisabilité d’un tel impôt dans notre pays. Son parti n’a
jamais saisi l’opportunité de ce document pour introduire un texte de loi. Et
depuis, le ministre Reynders a eu la peau – administrativement parlant – de
Delporte.
Si
les plus aisés ne payent pas la crise, qui la supportera? La réponse
tient dans ce nouvel euphémisme di rupien, avancé lors du quasi-débat électoral
avec Didier Reynders: «Rigueur, oui. Austérité, non[6]».
Lorsqu’on
se souvient que Di Rupo avait inventé le terme de «consolidation stratégique»
pour désigner la privatisation de Belgacom, on se doute que cette rigueur
risque de faire mal à la population. Alors que d’un homme de gauche, on
aurait plutôt attendu une formule du genre: «Rigueur pour le
capital, oui. Austérité pour les travailleurs, non.»
3.
Les intérêts notionnels
Le
dossier des intérêts notionnels est celui dans lequel la rhétorique
socialiste est la plus étourdissante. En juin 2005, les députés PS votent la
loi qui introduit cette grosse déduction fiscale pour les sociétés. En décembre
de la même année, ils votent un amendement qui élimine la restriction…
qu’ils avaient eux-mêmes exigée en juin: le gain d’impôt ne pouvait
pas être distribué aux actionnaires durant trois ans.
À
partir de fin 2007, les intérêts notionnels vont faire des vagues à
intervalle régulier. À chaque fois, le PS charge Reynders. Les députés
socialistes déposent même une proposition de loi pour modifier le système.
Mais visiblement, ils ne sont pas relayés au conseil des ministres, où le libéral
maintient la mesure telle qu’il l’a conçue. En clair, pas question de
mettre la moindre condition (d’emploi, d’investissement) pour bénéficier
de la déduction, ni d’interdire les montages fiscaux visant à accroître
artificiellement le gain d’impôts.
Début
2010, lorsque les syndicalistes d’Inbev, dont le groupe licencie, reprennent
le montant que je dévoile dans un communiqué PTB sur le cadeau fiscal offert
au groupe brassicole (70 millions d’euros d’économie d’impôts), les députés
PS Alain Mathot et Marie Arena déposent une proposition de loi visant à priver
d’intérêts notionnels les sociétés qui procèdent à des licenciements
collectifs. Encore une proposition non relayée au gouvernement. Bref, le PS mène
surtout une opposition… notionnelle aux intérêts notionnels.
Mai
2010: le PS présente son programme électoral. Celui-ci défend carrément
la suppression des intérêts notionnels. Prise de conscience tardive? Hélas,
non: le programme socialiste propose «de transformer l’enveloppe budgétaire des intérêts
notionnels en mesures plus appropriées directement favorables à l’emploi et
à l’investissement[7].» Il ne
s’agit donc pas de remettre en cause des cadeaux offerts aux sociétés, mais
seulement de revoir la modalité de ces cadeaux. Remplacer Père Noël par
Saint-Nicolas, en somme…
Pire:
lorsque je demande à Alain Mathot s’il regrette avoir voté les intérêts
notionnels en 2005, il répond: «Non, pas du tout. Ni remord, ni
regret[8].»
Et d’expliquer qu’au départ, la mesure visait à améliorer l’emploi et
l’investissement, mais qu’elle aurait été dévoyée par le ministre des
Finances.
Soit
il s’agit d’une justification bancale de son vote de 2005, soit Mathot n’a
rien compris de la mesure de Didier Reynders. Car les intérêts notionnels ont
été inventés pour remplacer les centres de coordination, gros cadeau fiscal
belge offert aux multinationales, mais condamné par l’Union européenne.
Toute la démagogie libérale qui a suivi à propos des emplois et
investissements qui seraient créés n’était que l’emballage marketing pour
vendre les intérêts notionnels à l’opinion publique.
Conclusion
Revenons
à notre question initiale: pourquoi le PS n’arrive-t-il pas à faire
contribuer les plus fortunés? La réponse est double. D’une part, cela
tient au mode d’action du PS, enfermé dans un parlementarisme étroit.
Contrairement à la démarche du PTB, qui cherche à obtenir des parlementaires
pour qu’ils puissent relayer dans l’hémicycle les luttes sur le terrain, le
PS ne croit pas à la mobilisation du monde du travail, sauf… durant la
campagne électorale. On pourrait même dire, si l’on se réfère à des
luttes comme celle contre le Plan global (1993) ou contre le Pacte des générations
(2005), que le PS craint la
mobilisation du monde du travail.
L’autre
volet de la réponse, plus essentiel, tient dans le handicap idéologique du
Parti socialiste: il ne parvient pas à contrer la politique libérale
tout simplement parce qu’il partage une grande partie de ses postulats. Pour
se démarquer d’un Didier Reynders, Elio Di Rupo affirme qu’il soutient le
capitalisme industriel, tandis que son rival défend le capitalisme financier.
Or, il a bien longtemps que l’un et l’autre capitalisme sont imbriqués et
mus par un dénominateur commun: la recherche du profit.
Dans
sa gestion du capitalisme, le PS ne trouve d’autre voie que de soutenir les
actionnaires privés à force de cadeaux divers (voir, par exemple, le Plan
Marshall du gouvernement wallon). Or, depuis trente ans, la part des bénéfices
des sociétés dans le revenu a doublé, à mesure que baissait la part des
salaires. Une évolution qui n’est pas étrangère à la crise que nous
traversons, laquelle n’est pas qu’une crise financière, mais aussi une
crise de surproduction : à qui vendre une production qui croît plus vite que
les salaires ?
Finalement,
en n’ayant d’autre horizon que de faire payer la crise à la population, la
politique du PS aboutit à la «consolidation stratégique» de
cette crise…
Marco Van Hees
06.06.2010. 07:59 |