Accueil · Pouvoirs · Critique succincte de sept dogmes du capitalisme Critique succincte de sept dogmes du capitalismeIntervention de Marco Van Hees à l'après-midi de
réflexion de la FGTB wallonne, " Dénoncer le capitalisme ".
Pour pouvoir dénoncer efficacement le capitalisme et
élaborer des alternatives, il faut repérer les dogmes de l'idéologie
dominante que nos cerveaux ont assimilés plus ou moins consciemment au long des
années. Un sérieux travail de dépollution est nécessaire et il n'est sans
doute pas moindre que celui que la Spaque a entrepris pour assainir les vieilles
friches industrielles wallonnes. En voici un petit aperçu.
1. " Le capitalisme est le moins pire des systèmes
"
Presque chaque semaine, on entend le ministre Didier Reynders
répéter cette formule éculée : " Le capitalisme est le pire des
systèmes, à l'exception de tous les autres. " Si on fixe les frontières
du système capitaliste au parc entourant le château du Cercle de Lorraine, à
Uccle, il a certainement raison. Mais si l'on considère le périmètre réel du
capitalisme, celui de la planète, on peut affirmer qu'il est le système le
plus criminel qu'ait connu l'histoire de l'humanité.
Car pour établir le bilan humain du capitalisme, il ne faut
pas seulement considérer le colonialisme, les génocides, les guerres
mondiales, les guerres de conquêtes, les coups d'Etat sanglants… Il faut
aussi prendre en compte la situation socio-économique dans laquelle le
capitalisme maintient les exploités du Nord, mais surtout ceux du Sud. Selon
Jean Ziegler, " en 2006, plus de 36 millions (de personnes) sont mortes de
faim ou de maladies dues aux carences en micro-nutriments. " Cela
représente, chaque année, plus de la moitié des victimes de la Seconde guerre
mondiale.
Les famines de la société féodale faisaient aussi de
nombreuses victimes, mais elles étaient imputables davantage au manque
d'avancement technique qu'à l'exploitation de classe (même si celle-ci
existait bel et bien). Au contraire, aujourd'hui, le niveau d'avancement
technique du capitalisme mondial permettrait d'éradiquer facilement les
désastres les plus criants touchant les populations du Sud. Mais c'est la
concentration des richesses aux mains d'une classe d'hyper-privilégiés qui
l'en empêche.
2. " Hors de l'économie de marché, point de salut
"
L'économie de marché est un euphémisme désignant le
système capitaliste. Ce système est basé sur la propriété privée des
moyens de production, l'exploitation et la recherche obsessionnelle du profit.
Le bon ou mauvais fonctionnement du " marché " est tributaire de la
lutte pour le profit, comme le montre la création de monopoles de fait ou de
cartels monopolistiques.
Au lieu de discuter de l'économie de marché, osons poser la question du
système capitaliste. La propriété privée des moyens de production est-elle
inéluctable ? L'exploitation de la main d'œuvre est-elle inéluctable ? La
recherche obsessionnelle du profit est-elle inéluctable ?
3. " Le privé est plus efficace que le public "
Toute la vague de libéralisation/privatisation qui déferle
depuis les années Thatcher-Reagan s'appuie sur le dogme que le privé est plus
efficace que le public. Même dans les plus hautes instances du PS, on entend
dire en aparté : " On a vu avec les sociétés de logement social où
mène la gestion publique ".
Or, le véritable objectif des privatisations n'est pas
d'assurer une meilleure gestion des entreprises, mais bien une meilleure
exploitation du monde du travail : en permettant au capital d'investir dans des
sphères qui lui étaient jusque là fermées, il s'agit d'accroître son taux
de profit.
Dans le secteur bancaire, on constate les effets terribles
d'une gestion privée guidée par la recherche du profit. Or, ce dogme est si
ancré que le gouvernement belge s'est par exemple empressé de refiler Fortis
à une banque privée, BNP Paribas (vieux partenaire d'Albert Frère, dont
l'expertise en matière de " privatisation des profits et socialisation des
pertes " n'est plus à démontrer). Ne faut-il pas oser revendiquer la
nationalisation complète du secteur bancaire ou, à tout le moins, des
établissements ayant obtenu l'aide de l'Etat ?
4. " Il faut sauvegarder la compétitivité des
entreprises "
Intérêts notionnels, subsides, réductions de charges
patronales, réductions de précompte professionnel… Au nom de la
compétitivité, les cadeaux aux entreprises prennent des proportions
astronomiques. Un dogme tellement bien ancré dans nos (in)consciences que le
mouvement syndical lui-même s'y trouve souvent piégé.
Or, deux remarques s'imposent. La première, c'est que la
compétitivité revient à opposer les travailleurs de différents périmètres
(secteurs, régions, Etats, continents…) au profit du capital. La seconde,
c'est que ces entreprises qui exigent des réductions de charges au nom de la
compétitivité ont vu leurs bénéfices exploser depuis 20 ou 30 ans.
En 1981, les bénéfices des entreprises belges atteignaient
8 milliards €. Aujourd'hui (2006), ils arrivent à 61,5 milliards €. En part
du PIB, ces bénéfices sont passés 9% (1981) à 19% (2006). Si elles se
contentaient des 9% qu'elles avaient en 1981, les entreprises dégageraient 32
milliards € qu'elles pourraient utiliser pour mieux rémunérer leurs
salariés. Divisés par les 2,6 millions de travailleurs du secteur privé, cela
fait plus de 12.000 € brut par travailleur.
En d'autres termes, la marge salariale est de 1.000 brut par
mois ! Sans même devoir demander à l'Etat d'accorder des bonus fiscaux ou
parafiscaux…
5. " Une meilleure régulation permet d'éviter les
crises "
Bien sûr, il est indispensable d'exiger des mesures
immédiates pour réguler le monde financier. Mais cela offrira-t-il une
garantie suffisante, à plus long terme, pour empêcher les crises ?
Aujourd'hui, même la FEB plaide pour un contrôle accru et une meilleure
régulation. A chaque crise du capitalisme (1929, 1973, crise asiatique, crise
du Nasdaq…), c'est ce qui est mis en avant comme solution. Jusqu'à la crise
suivante…
Pourquoi ? Parce que la recherche du profit, intrinsèque au
système capitaliste, finit toujours par prendre le dessus sur les règles de
prudence conçue lors des grands chambardements. Plutôt que de tenter de
contrôler les excès du capitalisme, ne faut-il pas plutôt disqualifier ce
système même ?
6. " Le monde politique est impuissant face aux
multinationales "
Pendant des années, le monde politique s'est dit désarmé
face à la puissance du monde économique. Et voilà qu'aujourd'hui, les banques
viennent frapper à la porte du gouvernement en quémandant de l'aide. On
constate que le pouvoir du politique est bien réel, mais qu'il se contente de
gérer le capitalisme sans oser en remettre en cause les fondements. Dans un tel
cadre, ses possibilités d'action apparaissent logiquement comme beaucoup plus
limitées qu'elles ne le sont en réalité.
7. " L'économie de marché et la démocratie sont
indissociables "
L'évidence est telle qu'on oserait à peine la remettre en
question : nous vivons en démocratie. Et cette apparente démocratie étant
concomitante à la société capitaliste - pardon, à l'économie de marché -
il est tentant de croire que ce système économique est une condition sine qua
non de ce système politique.
Pourtant, les acquis démocratiques arrachés par le
mouvement ouvrier sont loin de lui garantir une véritable démocratie. Au sein
de l'entreprise, la majorité des travailleurs n'ont que des droits infimes par
rapport à la minorité des propriétaires des moyens de production. Et
l'affaire Fortis a montré, si besoin en était, que l'absence de démocratie se
manifeste même dans les luttes entre grands et petits actionnaires.
Quant à l'intervention des tribunaux contre le droit de
grève, elle montre à quel point l'indépendance du pouvoir judiciaire
présente des limites. Même la démocratie formelle arrachée par la lutte pour
le suffrage universel est progressivement démantelée par la suprématie des
normes européennes (imposées par des instances non élues) sur les normes
nationales. Ne faut-il donc pas revoir fondamentalement ce dogme et oser poser
la question : le capitalisme n'est-il pas un obstacle à une réelle démocratie
?
Marco Van Hees
Décembre 2008
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