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Les Ducarme, une grande famille

Le ministre démissionnaire Ducarme était bien plus rigoureux pour limiter les dépenses au profit de la population que pour payer ses impôts. Mais il est loin d'être le seul adepte du «Faites ce que je dis, pas ce que je fais». Quelques exemples.

Frank Ducarme

Devenu ministre de l'Emploi et des Pensions, Frank Vandenbroucke (SP.a) n'en est plus à brûler les billets de banque comme il disait naguère l'avoir fait avec l'argent des caisses noires de son parti. Aujourd'hui, il déploie toute son énergie pour expliquer que les caisses de pension se vident dangereusement. Avec le vieillissement de la population, dit-il, il faudra travailler plus longtemps pour bénéficier d'une pension. Et il faudra aussi compter sur les pensions privées.

Pourtant, lui-même ne doit pas trop s'en faire. Un parlementaire obtient une carrière complète pour la pension après... vingt ans de mandat (pour vous, c'est 45 ans). Rien que pour les onze années où il a été député, de 1985 à 1996, Vandenbroucke aura ainsi droit à une pension brute de 2.379 euros (95.000FB)1 par mois. Montant qui sera bien sûr additionné à la pension sur les autres jobsqu'il a eus: assistant à l'Université de Louvain, membre du service d'études du SP, président du SP, ministre...

Richard Ducarme

«Agir en politique, explique Richard Fournaux (MR) sur son site internet, c'estgérer la cité dans le souci du bien commun et de l'amélioration du quotidien de chacun.» Mais le bourgmestre de Dinant, qui vient de quitter le CDH pour le MR, considère manifestement que charité bien ordonnée commence par soi-même. «Moi, je n'aime pas payer», a-t-il déclaré à la RTBF à propos de son ardoise envers le fisc, qui atteindrait 125.000 euros.

Mais il y a surtout l'affaire du casino de Dinant. Sa gestion a été concédée par la ville au groupe Accor, pourtant moins intéressant que d'autres candidats. Or, ce même groupe a fait peindre son hôtel Ibis de Dinant par Bayard-Decor, société appartenant à un certain... Richard Fournaux. Le juge Van Espen enquête sur l'affaire. Et l'Inspection spéciale des impôts a déjà établi un redressement fiscal à l'adresse du mayeur, ayant relevé un «manquement indiciaire» (dépenses privées dépassant les revenus déclarés) de 338.050 euros (13.636.936FB) sur les seules années 1996 à 1998.2

Didier Ducarme

On connaît le credo du ministre des Finances Didier Reynders (MR), que Ducarme a pris un peu trop au pied de la lettre : réduire la charge fiscale. Il arriverait presque à faire croire qu'avec sa réforme fiscale, l'ensemble de la population paye moins d'impôts. Pourtant, la plupart des travailleurs ne bénéficient pratiquement pas de la réforme, alors qu'ils payent de plus en plus de taxes communales et (pour compenser les réductions de charges patronales) de TVA et accises.

Ceux qui profitent vraiment de sa réforme sont ceux dont le salaire annuel brut dépasse 43.870 euros. Comme par exemple... Reynders. En effet, la partie du salaire au-dessus de ce montant n'est désormais plus taxée à 52,2% et 55% mais à 50%. Comme ministre, Reynders perçoit un salaire annuel brut de 186.000 euros.3 Sa réforme lui a donc permis d'obtenir un cadeau de 6.652 euros (264.000 FB)4. Seul regret: il n'a forcément pas pu réduire sa facture fiscale sur tous les avantages non taxés dont il bénéficie en tant que ministre: sa Mercedes classe S avec chauffeur, son indemnité de 260 euros/mois pour les frais de représentation, son indemnité de logement de 338 euros/mois, son indemnité pour frais domestiques de 1.239 euros/mois, sans compter tous les frais personnels pris en charge par son cabinet.5

Steve Ducarme

Lorsqu'il était ministre flamand de l'aménagement du territoire, Steve Stevaert (SP.a) avait été impitoyable avec les personnes qui avaient construit sans permis des petites habitations de fortune pour pouvoir y passer le week-end: celles-ci devaient être rasées.

Etrangement, Stevaert est moins strict lorsqu'il s'agit de dépenser l'argent du contribuable pour sa propre satisfaction. Ainsi, sur la seule année 2002, il a utilisé sa carte Visa de fonction dans 97 restaurants. Facture totale: 22.210 euros (895.951 FB). Aux Baguettes impériales, par exemple (Bruxelles, 1 étoile Michelin), il en avait eu pour 842 euros (34.000 FB).

Elio Ducarme

«Le Progrès pour tous». Elio Di Rupo, président du PS, n'a de cesse de répéter cette préoccupation sociale dont il a fait le slogan de son parti. Le progrès pour tous, sauf pour les profs qu'il a licenciés comme ministre de l'Enseignement. Sauf pour le personnel de Belgacom, entreprise qu'il a privatisée comme ministre des entreprises publiques. Sauf pour les Sabéniens, compagnie qu'il a vendue à Swissair avec les conséquences que l'on sait...

Le Progrès pour Di Rupo, ça, ça marche pas trop mal. Comme président du PS, il a estimé devoir gagner autant qu'un ministre. Soit un salaire annuel brut de 186.000 euros, sans compter les avantages non taxables (comme son Audi A8 de fonction6, 50.390 à 122.870euros au catalogue). Comme bourgmestre de Mons, il touche 61.932 euros brut par an. Comme président de l'intercommunale IDEA, 37.913 euros. Comme président de l'Intercommunale d'électricité du Hainaut, 17.726 euros7. Et on ignore combien pour son mandat à l'Intercommunale de gaz du Hainaut.

Papa Ducarme

N'oublions pas les papas Ducarme: les capitalistes qui ont des revenus encore incroyablement plus élevés que les mandataires politiques. Ils exigent toujours plus de sacrifices des travailleurs pour accroître leurs profits. Ce qui fait que la part des salariés dans le revenu national est passée de 62% en 1981 à 41% en 2002. Avec le manque à gagner, chaque familledu pays aurait pu se payer une maison en dix ans.

Comment se fait-il que Frank, Robert, Didier, Steve, Elio et les autres mènent des politiques antisociales plutôt que de s'en prendre aux grosses fortunes? Parce qu'ils entretiennent des relations étroites avec les capitalistes. Parce ce qu'ils ne remettent pas en cause les fondements d'un système capitaliste fondé sur l'exploitation. Et enfin parce qu'il est plus facile d'imposer des mesures antisociales lorsque, soi-même, on a un train de vie à grande vitesse.

En ce sens, les travailleurs ont tout intérêt à exiger que les politiciens touchent des salaires beaucoup plus proches des revenus de la population. Par exemple en s'inspirant des dirigeants et mandataires du PTB, qui vivent avec le salaire moyen d'un ouvrier. Comme Mie Branders, médecin du peuple et conseillère de district à Hoboken. «Je touche 1.115 euros par mois, comme les autres travailleurs de la maison médicale, explique-t-elle. Normal: je trouve que le travail des gens qui nettoient la maison médicale ou font l'accueil a autant de valeur que le mien. Et comme conseillère, je reçois brut 78 euros que je reverse naturellement au parti.»

Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 25 février 2004

1 Calculé d'après les données de Knack, 17/9/03· 2 Le Soir, 21/2/04 3 Knack, 17/9/03 · 4 Calculé sur base des barèmes fiscaux · 5 La Dernière Heure, 24/07/03 et 15/2/04 · 6 La Dernière Heure, 24/07/03 · 7 Trends Tendance, 21/2/02.


Ce qu'il y a derrière la petite «négligence» de Ducarme

Daniel Ducarme, ministre-président de Bruxelles-Capitale, a démissionné pour n'avoir pas rentré de déclaration fiscale pendant quatre ans. Petite «négligence», disent ses amis. Mais pour des faits bien moins graves, les simples citoyens sont souvent traités comme de véritables criminels.

Imaginez: 8.000 euros par mois. 320.000 francs. C'est ce que Ducarme s'est engagé à payer au fisc pour rembourser ses dettes. Cela correspond au revenu d'une année complète pour un chômeur isolé. Mais ce sont ces chômeurs que le gouvernement traite de profiteurs, eux qu'il a décidé de prendre en chasse...

L'affaire Ducarme est un «dossier strictement privé », selon Duquesne, président du MR. C'est surtout une affaire qui illustre la justice à deux vitesses. Notre amie Hilde a refusé de payer une amende de stationnement, s'estimant en droit. Après seulement un avertissement, la police est passée chez elle pour qu'elle débourse sans tarder. Ducarme, lui, n'a pas payé ses impôts depuis des années. Il n'a même pas rentré de déclaration en 1999, 2001, 2002, 2003 (en 2000, il l'a introduite... avec cinq mois de retard).

Simple négligence, comme l'affirment ses amis du MR? On peut à l'occasion oublier de rentrer sa déclaration dans les délais, mais quand on ne la rentre pas du tout, année après année, l'acte n'est plus involontaire. C'est d'ailleurs ce qui ressort de la législation fiscale: les trois premières déclarations absentes ou en retard sont sanctionnées par des accroissements d'impôts de 10% à 30%. A partir de la quatrième, on passe dans la catégorie des accroissements de 50% à 200%, qui sanctionnent explicitement l'intention frauduleuse.

Pourtant, Ducarme a rarement manqué de rigueur budgétaire... s'agissant des dépenses pour la population. Il venait encore de s'attirer les foudres du monde musical pour avoir réduit de 75% les (maigres) subsides accordés aux concerts rock.

Une ardoise fiscale de 240.000 euros

Or, si les mandataires politiques adoptent si facilement des politiques antisociales, c'est notamment parce qu'eux-mêmes bénéficient de salaires fort éloignés des revenus moyens de la population. Car, enfin, combien a pu gagner Ducarme pour se constituer une ardoise fiscalede 240.300 euros en quatre ans?

Il faut dire que depuis 1999, le libéral a aligné un nombre impressionnant de mandats(pas tous en même temps, mais presque): conseiller communal, bourgmestre, député européen, questeur du Parlement européen, président du PRL, président de la Fédération PRL-FDF-MCC puis du MR, professeur invité de l'Université de Liège, vice-président de l'Intercommunale d'électricité du Hainaut, président de l'Intercommunale bruxelloise d'assainissement, ministre des Arts, des lettres et de l'Audiovisuel, ministre-président de Bruxelles-Capitale...

Ce genre de situations n'a rien d'exceptionnel. Le salaire brut annuel des ministres est déjà de 200.000 euros (8 millions de FB) et ce n'est souvent qu'un de leurs mandats. En ce sens, Ducarme est moins une mauvaise image pour les politiciens que leur image fidèle.

Plutôt que de traiter l'affaire comme un incident de parcours, il conviendrait donc de revoir sérieusement les règles du jeu. D'une part, en ramenant le salaire des mandataires publics beaucoup plus près des revenus de la population pour laquelle ils sont censés oeuvrer. D'autre part, en imposant une transparence complète de leur situation pécuniaire et fiscale. Avec la possibilité pour la population de révoquer les politiciens qui s'écartent des règles qu'ils ont eux-mêmes fixées ­ trop souvent pour les autres.

Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 18 février 2004

09.09.2008. 19:04

 

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