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Est-il permis de critiquer le Plan Marshall ?

Quitte à contester sa mise en œuvre, presque tout le monde – du MR à Ecolo – semble louer l’esprit du Plan Marshall. C’est-à-dire: accorder des cadeaux au privé pour investir en Wallonie. La panacée?

Lorsque Elio Di Rupo m’a invité chez lui pour discuter de mon livre sur Didier Reynders[i], je lui ai dit: comment voulez-vous vous démarquer du MR si vous appliquez une même politique de cadeaux aux entreprises? Par exemple, via le Plan Marshall… Réponse du président du PS: «Que peut-on faire d’autre pour inciter les investisseurs privés à redévelopper la Wallonie? Vous ne voulez tout de même pas d’un Etat soviétique?»

Un Etat soviétique! Ce qui est fou, c’est que c’est exactement le terme dont Reynders affuble la politique du PS chaque fois que monte la fièvre électorale (et c’est de plus en plus souvent). Les patrons, il faut leur lécher les bottes et leur remplir les poches, sinon c’est l’Etat soviétique.

Le problème des patrons, c’est que ce sont de gros peureux. Attention, ça dépend pour quoi. Ils n’ont pas peur de construire sans permis d’urbanisme. Pas peur de licencier des délégués syndicaux. Pas peur d’éluder l’impôt à l’artillerie lourde… Mais ils font dans leur pantalon à l’idée qu’un investissement ne rapporte pas. Ou pas assez.

L’économie de marché (le nom politiquement correct du capitalisme), c’est la lutte concurrentielle. C’est la loi de la jungle et sa sélection naturelle: les plus forts survivent, les plus faibles coulent. Sauf que les plus forts, l’Etat doit les materner. Sinon ils ont peur dans le noir de la rentabilité non garantie.

Le capital à risque, l’Etat est obligé de lui octroyer une «déduction pour capital à risque» (nom officiel des intérêts notionnels) pour qu’il trouve le courage de courir ces risques. On comprend que nos aventuriers capitalistes fassent moins mouiller les midinettes que ne le font les pirates des Caraïbes.

Dans ces conditions, une question s’impose: plutôt que de multiplier les cadeaux financiers à ces gourmands poltrons, pourquoi l’Etat n’investit-il pas lui-mêmeafin de développer la Wallonie? Quand j’ai dit cela à Di Rupo, il m’a répondu : «Les sociétés publiques, vous avez vu ce que cela a donné dans le logement social!»

Etrange raisonnement. Elio a peur qu’à cause du dysfonctionnement de certaines entreprises publiques, des administrateurs ripoux s’en mettent plein les poches. Mais il ne craint pas de confier l’économie wallonne à des entrepreneurs privés dont le but avéré est de s’en mettre plein les poches.

Et puis, entre nous, un socialiste normalement constitué ne devrait-il pas se poser des questions sur le plan Marshall dès lors que celui-ci est portée aux nues par quelqu’un comme Eric Domb? Vous savez, le patron des patrons wallons. Cet antisyndicaliste primaire dont on se demande parfois s’il n’a pas plus de considérations pour les perruches ou les chauves-souris de Paradisio que pour le personnel de son parc animalier...

Marco Van Hees


Le plan Marshall finance le pôle «science de l’emploi mort»

Le Plan Marshall est articulé sur les axes suivants: la création de cinq pôles de compétitivité; le soutien à la création d’activités; l’allègement de la fiscalité sur l’entreprise; l’encouragement à la recherche et à l’innovation; l’accentuation de la capacité de formation professionnelle.

Si l’on retire ce dernier axe de formation (tragi-comique lorsqu’on se souvient de l’époque, pas si lointaine, où la Communauté française éradiquait par milliers les postes d’enseignant), que reste-t-il? Aide au capital privé, aide au capital privé, aide au capital privé et aide au capital privé. Quelle puissance imaginative!

Notez, soutenir le capital privé, c’est aussi inciter les salariés ou les sans-emploi à lancer une activité indépendante (axe 2). Via… l’Agence de stimulation économique (sic). Bonne affaire? Un désastre, plutôt. Chacun connaît autour de soi des malheureux qui y ont cru et qui, après une année d’activité chancelante, passent des années à rembourser des dettes. Quant aux petites entreprises qui survivent, elles finissent souvent par se faire absorber par de plus grandes. Ou mieux (pour ces dernières): elles en deviennent sous-traitantes. Ce qui, finalement, ne débouche que sur un transfert d’emplois d’une entreprise à l’autre. Mais à des salaires inférieurs, avec une flexibilité accrue, sans délégation syndicale...

Autre chose: la création des cinq pôles de compétitivité (axe 1). Il s’agit d’une sorte de grande remise des prix dans laquelle les entreprises les mieux cotées bénéficient d’aides financières, d’aides à la formation, d’aides à l’investissement, d’aides à l’exportation... Question: dans la bonne vieille logique capitaliste, est-il bien sain de soutenir une entreprise qui ne peut survivre qu’avec toutes ces aides? Vous savez, ce discours qu’on applique aux entreprises publiques maintenues «sous perfusion». Pourquoi ne vaut-il pas pour le privé?

A moins, bien sûr, que ces entreprises «créent de la valeur» déjà sans les aides et que le plan Marshall rendent les profits encore plus juteux. Prenez le groupe pharmaceutique UCB, qui a bénéficié de la manne du plan Marshall allouée au pôle «sciences du vivant».

UCB a été créée en 1920 par le petit-fils préféré d’Ernest Solvay, Emmanuel-Charles Janssen. Son propre petit-fils, le baron Daniel Janssen (72 ans) est aujourd’hui un des plus riches patrons de Belgique, appartenant à trois familles du top 15 des fortunes belges: les Janssen, les Solvay et les Boël (sa mère était une Boël). Et récemment, la famille de Spoelberch, première fortune belge, s’est engagée elle aussi dans le capital d’UCB.

Difficile, donc, de trouver plus blindé financièrement. Pourtant, ce même groupe UCB vient de décider la suppression de deux mille emplois dans le monde, dont un quart en Belgique. C’est donc plutôt le pôle «science de l’emploi mort» que la Région wallonne a subsidié ici.

Le plan Marshall (axe 2) a également dégagé environ dix millions d’euros pour assainir les 239932 m2 de l’ancienne usine UCB de Ville-sur-Haine, près de Mons, un des quinze sites les plus pollués de Wallonie. Le principe du pollueur payeur ne vaut visiblement que pour le bas peuple.

Au total, le budget du plan Marshallreprésente 1,5 milliard d’euros sur quatre ans. Soit mille euros par ménage wallon. Si c’est pour enrichir des barons Janssen, il était plus simple d’instaurer directement une taxe de solidarité envers les riches.

Marco Van Hees


[i] Didier Reynders, l’homme qui parle à l’oreille des riches, Aden, 2007.

26.10.2008. 15:20

 

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