Accueil · Public-privé · Gares à la casse? Gare à la casse ! Gares à la casse? Gare à la casse !La direction de la SNCB veut fermer
les guichets d'une cinquantaine de gares dans le pays. Quelles seraient les conséquences
d'un tel plan? Enquête sur le terrain.
La nouvelle est tombée en juillet: la SNCB a décidé de
fermer les guichets de 41 gares dans le pays: 18 en Flandre, 1 à Bruxelles, 22
en Wallonie (voir carte). Depuis, une petite dizaine d'autres ont été ajoutées
à la liste. L'information est parue dans la presse mais, jusqu'à ce jour, les
agents des gares concernées n'ont jamais eu la moindre information officielle
de la part de la direction. Ce qui ne les empêche pas d'être frappés d'une
interdiction formelle de s'adresser aux médias.
Pour la direction de la SNCB, l'objectif est simple. On lit
ainsi dans le procès-verbal du comité de pilotage de la société: «Le
plan Move prévoit une réduction de l'effectif, ce qui devrait entraîner la
fermeture de 41 guichets.» Une option qui, on s'en doute, n'est pas partagée
par les cheminots, mais qui déplait au moins autant aux voyageurs.
«Ils n'auront plus une salle chauffée dans laquelle
attendre le train, nous explique un agent d'une gare visée. Parce que si
les guichets ferment, la salle sera fermée et ils se retrouveront à la porte.
C'est déjà le cas actuellement durant les heures auxquelles les guichets sont
fermés.» Bref, même si le bâtiment est toujours là, les voyageurs
auront un simple point d'arrêt, style arrêt de bus, sans personnel. Dans le
pays, ils sont d'ailleurs déjà plus nombreux que les gares avec personnel: 290
contre 245.
Les voyageurs n'oseront plus prendre
le train
Autre conséquence: l'impossibilité d'acheter un billet et
d'obtenir une information avant d'être dans le train. Car là où il y en a,
les distributeurs automatiques sont souvent en panne. Et tout le monde ne
dispose pas d'un accès Internet pour acheter ses billets on-line. «Ce
sont donc les petits revenus qui seront les plus lésés, pronostique un
chef de gare. D'autant qu'un projet de la direction est que chaque personne
montant dans le train devrait disposer d'un titre de transport, sous peine de
payer un supplément, même s'il n'y a pas de guichets. Les voyageurs devraient
alors acheter des cartes de plusieurs voyages, comme la Keycard. Mais il faut
pouvoir sortir l'argent.»
Quant aux navetteurs, note Jean-Claude Challe, responsable
CGSP des cheminots du Centre (région de La Louvière), «ils devront
renouveler leur abonnement à Bruxelles. S'il y a cinq ou dix personnes au
guichet, l'attente risque de durer jusqu'à une demi-heure. J'ai moi-même raté
un train à Paris pour cette raison ce qui montre que le problème est européen.
Il n'y avait que trois guichets ouverts à 15 heures dans une gare comme Paris
Nord. Le guichetier m'a expliqué qu'avant, ils en ouvraient sept. Depuis la réduction
du nombre, le temps d'attente moyen est passé de dix à trente ou quarante
minutes.»
Pour le syndicaliste, la fermeture des guichets annonce la
fermeture des gares qui annonce elle-même la fermeture des lignes régionales.
Pour être remplacées par des bus? Il en doute. «Quand la ligne de Chapelle
à Manage a été supprimé, se rappelle-t-il (voir carte de la région
du Centre), il y a eu un bus de substitution. Cela a duré un an. Depuis, il
faut attendre une correspondance et cela prend facilement quarante minutes, pour
un trajet qui en voiture prend cinq à dix minutes. Tout le monde a donc pris sa
voiture.»
La fermeture des gares pose aussi le problème de la sécurité.
«Pas seulement la sécurité, mais aussi le sentiment de sécurité, précise
un autre chef de gare. Le fait qu'il y ait du personnel à la gare, c'est une
présence, la garantie d'une éventuelle assistance, un témoin potentiel. Sans
cela, je crains que beaucoup de voyageurs n'osent tout simplement plus prendre
le train. Et ce n'est pas la police qui va régler le problème. La sécurité
locale est dévolue à la police locale, mais elle n'est mobilisable que durant
les heures de bureau et elle manque déjà de moyens...»
Hécatombe de gares : le cas de la région
du Centre
Carte : le réseau ferroviaire en 1959
Carte : le réseau ferroviaire en 2004
Opposition croissante, premier recul
de la SNCB
Se heurtant à une opposition croissante syndicalistes,
mandataires locaux, dix mille pétitionnaires la SNCB a déjà dû reporter à
l'an prochain le plan qu'elle comptait appliquer en douce cette année.
Dès que la direction de la SNCB a cité le nom de gares
menacées, des réactions ont surgi un peu partout: voyageurs, syndicalistes,
mandataires locaux, monde associatif Ainsi à Watermael-Boitsfort, dans la région
bruxelloise, le conseil communal a voté une motion, à vingt voix contre une,
s'opposant à la fermeture des guichets. Ailleurs, ce sont des conférences de
presse, des distributions de tracts, des pressions politiques des bourgmestres
locaux envers les responsables régionaux ou nationaux.
A côté des nombreuses initiatives locales, la coordination
Inter-Environnement Wallonie (IEW), suivie par ses organisations surs de
Bruxelles et de Flandre, a lancé une pétition contre le projet. Une pétition
visible dans de nombreux magasins et autres lieux publics. Une pétition que
certains voyageurs rapportent spontanément à la gare, les cheminots payant un
timbre pour la renvoyer aux initiateurs. «Nous avons recueilli dix mille
signatures, indique Véronique Paternostre, d'IEW. Nous les porterons fin
décembre au ministre fédéral de la Mobilité pour qu'il en tienne compte dans
les contrats de gestion que l'Etat va passer avec les trois sociétés nées de
la scission de la SNCB (infrastructure, exploitation et holding).»
Un chef de gare remarque: «Quand le ministre décide que
les tarifs de la SNCB n'augmenteront pas, ils n'augmentent pas. Mais quarante
chef de gare, des dizaines de mandataires locaux et dix mille signataires
s'opposent à la fermeture des guichets, on ne les entend pas. C'est cela la démocratie?»
Toutefois, Véronique Paternostre souligne que la pression a
obligé la direction de la SNCB à faire marche arrière, alors qu'elle comptait
appliquer en 2004: «Elle pensait faire passer son plan plus facilement.
Maintenant, elle recule. Elle précise qu'aucune décision n'est prise et
qu'elle va étudier les critères à prendre en compte pour fermer les guichets.
Tout a été reporté à l'année prochaine. De notre côté, nous allons
continuer d'agir. De concert avec les syndicats car nous avons découvert que
nous avions des raisons, sinon identiques, en tout cas complémentaires pour
nous apposer à ce plan.»
Une erreur d'aiguillage du
gouvernement?
Un syndicaliste interpelle des ministres sur la fermeture
annoncée des guichets. Johan Vande Lanotte (SP.a), semblant presque ignorer
qu'il est le ministre de tutelle des entreprises publiques, répond: «J'ai
demandé au service de la SNCB de soumettre ce plan à un examen attentif.»
Autre interpellé, le ministre fédéral de la Mobilité,
Renaat Landuyt (SP.a). «Il ne s'agit pas de la fermeture des gares, mais de
guichets», répond celui-ci. Pourtant, il lui suffirait de se rendre dans
une gare dont les guichets sont fermés le week-end ou l'après-midi pour
constater qu'à ces heures, les locaux sont fermés au public. Est-ce trop
demander comme déplacement à un ministre de la mobilité?
Il y a aussi la ministre-présidente de la Communauté française,
Marie Arena (PS), pour qui «les facteurs de rentabilité sont loin d'être négligeables»,
mais qui va voir ce qu'elle peut faire (pour la gare de ses électeurs de
Binche). Or, tel est précisément le noeud de la question: est-ce la mission
d'une entreprise publique que de poursuivre des objectifs de rentabilité?
En 2003, le programme du gouvernement Verhofstadt II
affichait le but d'augmenter «le nombre de voyageurs à la fin de législature
de 25 % par rapport à l'année 2000, en développant des mesures visant à
augmenter l'offre en trains et à diminuer les tarifs pour certains groupes ciblés».
Elémentaire quand on connaît le niveau catastrophique de la congestion routière.
Pourtant, dans les faits, on réduit l'offre. Paradoxe?
En fait, gouvernement et direction SNCB misent uniquement sur
quelques segments très rentables: les navetteurs, les grandes lignes intérieures,
le TGV, les grandes gares. Pour aménager quatre méga-gares TGV(Anvers,
Bruxelles-Midi, Louvain, Liège), la SNCB a ainsi injecté 1.725 millions
d'euros.
Cette politique respectueuse du profit bafoue entièrement
les droits des gens à une mobilité accessible. Car tout ce qui n'entre pas
dans ces grands segments rentables est voué à disparaître: les lignes régionales,
les petites et moyennes gares (le plan New Passengers de la SNCB pointe non 41
mais 200 gares générant moins de 3% du trafic).
Toute la politique des autorités belges et européennes est
traversée par une insoluble contradiction. D'un côté, elles veulent
satisfaire les demandes des chefs d'entreprises qui veulent voir régler les
problèmes de mobilité pour leur personnel et leur marchandises. De l'autre,
elle se soumettent aux exigences patronales d'une libéralisation du rail qui
sonne comme l'ouverture de la chasse aux profits.
«Les directives européennes sont une aberration,
nous confie un chef de gare. Les dockers, isolés chacun dans leur port, sont
parvenus à s'opposer à la libéralisation dans leur secteur. Et nous,
cheminots, qui avons un réseau de chemin de fer continu dans toute l'Europe, ne
serait-il pas temps que nous nous y mettions aussi?»
Le salaire de Vinck pourrait sauver
87 gares
Prenons la gare de Manage, dans le Hainaut. Le syndicaliste
Jean-Claude Challes'étonne: «La fermeture du guichet doit permettre d'y réaliser
une économie de 10.000 euros pas an. C'est dérisoire. Surtout quand on sait
qu'on a récemment interdit à cette gare de vendre des billets internationaux,
dont les recettes étaient supérieures à ce montant.»
Comparons 10.000 euros aux salaires de la direction de la
SNCB. Jusqu'ici, le comité de direction compte l'administrateur-délégué
Karel Vinck et onze directeurs généraux. Avec la scission de la société en
trois entreprises distinctes, il y aura trois administrateurs généraux et dix
directeurs généraux. Un général en moins, mais deux maréchaux en plus, cela
va faire grimper une addition déjà particulièrement salée.
Le rapport annuel de la SNCB indique en effet qu'en 2003, un
montant global de 3.405.076 d'euros a été versé aux membres du comité de
direction. Soit une rémunération moyenne de 309.552 euros par directeur général
(95% de plus que l'année précédente). Vinck, lui, touche 867.000 euros brut
annuellement, plus diverses primes. Des primes qui, à elles seules, lui
permettraient de vivre confortablement. Son salaire pourrait alors servir à
sauver 87 gares...
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 14 décembre 2004
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