Accueil · Public-privé · Le patrimoine de l'Etat, tu dilapideras... Le patrimoine de l'Etat, tu dilapideras...«Didier,
j’ai une idée. Si on vendait notre maison de Liège et notre maison de
campagne de Burdinne…» Vous vous demandez sans doute pourquoi Madame Reynders
fait cette étonnante proposition à son époux, le ministre des Finances ? Lui aussi...
«Didier,
j’ai une idée. Si on vendait notre maison de Liège et notre maison de
campagne de Burdinne…
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Ah bon? Elles ne te plaisent plus?
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Je n’ai jamais dit que je ne voulais plus y habiter. Je me demande simplement
si on ne pourrait pas les vendre et payer un loyer au nouveau propriétaire…
-
Comment peux-tu dire ça, Bernadette, tu m’inquiètes. Ah… Tu me fais
marcher…
-
Ca nous ferait beaucoup d’argent d’un coup…
-
Bernadette, tu te rends bien compte que cet argent, après quelques années, il
sera dans les poches du propriétaire. Tous les Belges rêvent d’avoir une
maison pour ne pas devoir payer un loyer jusqu’à la fin de leur vie. Nous,
nous en avons deux et tu veux les vendre. Tu ne serais surmenée au Palais, ces
temps-ci?
-
Je me disais… Il faudra bientôt refaire faire la toiture à Burdinne. Et ce
serait bien d’aménager le grenier à Liège pour mettre tes archives. Si on
les vend, c’est le propriétaire qui payera les travaux.
-
Enfin Bernadette, en trente ans, je ne t’ai jamais entendu dire une pareille
absurdité. Si un propriétaire achète les maisons et y fait des travaux,
c’est pour en tirer un profit. Et si, lui, ça lui rapporte, c’est que ça
nous coûte, nous. C’est mathématique.
-
Ne te fâche pas, Didier. Je me disais seulement que puisque tu vends les bâtiments
de l’Etat à des sociétés privées qui les redonnent en location à
l’Etat, il serait avantageux d’appliquer la même méthode pour nos propres
propriétés.Mais il y a peut-être quelque chose qui m’échappe…»
Oui,
madame Reynders, peut-être bien. Pour gérer le patrimoine familial, votre
attentionné époux agit en bon père de famille. Pour le patrimoine de
l’Etat, c’est moins sûr. De mauvais esprits pourraient même le soupçonner
d’être plus soucieux des intérêts des entreprises privées - immobilières
ou non – que des biens publics.
Le ministre des Finances n’est pas responsable que de ce Trésor public
qu’il ristourne si facilement aux multinationales et aux plus hauts revenus.
Il a aussi, dans ses attributions ministérielles, la tutelle de la Régie des bâtiments.
Fondé en 1971, ce parastatal d’intérêt public est chargé de la gestion des
immeubles hébergeant les départements fédéraux et veille à la préservation
de nombreux édifices historiques. La Régie est propriétaire de plus de mille
bâtiments dont la superficie globale dépasse cinq millions de m2.
1er janvier
2007, les soldes débutent en Belgique. Pourtant, quelques jours plus tôt, sans
attendre la date officielle, Reynders solde 62 bâtiments de l’Etat. Pas afin
de faire de la place pour la collection d’été. Plutôt pour faire de la
place dans le budget 2007. Il faut dire que ces bâtisses valent des centaines
de millions d’euros.
A l’origine, le ministre envisageait de céder ces bâtiments (ils étaient
alors 67) en lançant une sicafi, une «société d’investissement à
capital fixe en immobilier». Il s’agit d’une société qui serait
devenue propriétaire des bâtiments et qui aurait été cotée en Bourse. Tout
investisseur aurait ainsi pu acheter des actions représentant une parcelle de
propriété de ces bâtiments. Avec l’espoir d’obtenir un gros rendement,
car le locataire est au-dessus de tout soupçon: mieux que d’avoir la
garantie de l’Etat, il est l’Etat même. Ces actions en Bourse devaient représenter
quelque 30% du capital, 10% revenant à l’Etat et 60% à
Cofinimmo, la plus importante société immobilière du pays, labellisée Bel 20
(les stars de la Bourse de Bruxelles).
Mais deux concurrents de Cofinimmo, Axa Real Estate Belgique et Befimmo, ont
introduit un recours au conseil d’Etat, lequel, jugeant la procédure irrégulière,
a annulé toute l’opération. Reynders a donc, en toute hâte, lancé un
nouveau montage: il a fait apport des 62 bâtiments dans une nouvelle société,
dénommée Fedimmo, qui a été vendue aux enchères. Les trois candidats
acheteurs, les mêmes Befimmo, Cofinimmo et Axa, n’ont eu que quelques
semaines pour examiner l’offre. Mais un petit prix vaut bien un petit délai:
un vendeur pressé n’a pas l’occasion de faire monter les enchères à leur
maximum.
C’est finalement Befimmo (dont Fortis est actionnaire à 16%) qui a
emporté le marché avec une offre de 576 millions d’euros. A vue de nez, un
bon prix pour ces 62 bâtiments, lorsqu’on sait que les 79 bâtiments de la défunte
Sicafi (67 de l’Etat + 12 de Cofinimmo) affichaient une valeur estimée de 1,2
milliard.
Les loyers encaissés par Befimmo ne sont pas mal non plus. La vente conclue,
l’Etat a immédiatement repris en location tous les bâtiments, concluant un
bail de 40 millions d’euros par an jusqu’en 2017. A cette date, le
gouvernement aura déjà déboursé 76 % du montant qu’il a encaissé le 29 décembre
2006. Ce qui montre que Didier avait bien raison de dissuader Bernadette de
vendre le patrimoine familial.
Pourtant,
à peine l’opération Fedimmo bouclée, Reynders a lancé le projet d’une
Fedimmo II, en janvier 2007, avec de nouveaux bâtiments de l’Etat. Il faut
dire que le sale-and-lease-back (vente suivie d’une prise en location) de bâtiments
publics devient une tradition quand il s’agit d’équilibrer le budget. Il
est vrai que c’est le gouvernement Dehaene qui avait lancé le mouvement dans
les années 90, lorsque Reynders était encore chef de l’opposition libérale
francophone. Mais depuis 1999, le système fonctionne à un tel rythme que les
immeubles à bureau commencent à faire défaut à la régie des bâtiments.
Qu’importe, Reynders envisage déjà de privatiser sinon les prisons, du moins
déjà leurs murs.
En octobre 2006, dans un éditorial de la revue du Gerfa (Groupe d'étude et de
réforme de la fonction administrative), son président Michel Legrand
s’exclame: «Ras-le-bol du ministre des Finances, Didier
Reynders (MR), qui invente depuis près de huit ans une série de trucs et de
ficelles pour équilibrer le budget, mais qui aboutissent en fait à piller le
patrimoine de l’Etat et à priver les services publics de moyens importants1.»
La même année, la
plus officielle Cour des comptes avait déjà analysé les ventes de bâtiments
conclues par l’Etat depuis 2001. Son rapport constate d'abord qu'il n'existe
pas la moindre note expliquant l'intérêt de ces opérations sale and
lease-back. Et les deux ministres de tutelle, Daems et Reynders, n'ont jamais
demandé la moindre évaluation des coûts qu'elles engendreraient.
La
Cour constate aussi que, dans le cas de la cité administrative de l'Etat, à
Bruxelles, le prix de vente (27,1 millions) est nettement inférieur à
l'estimation initiale du bâtiment (74 millions). La Tour des Finances, voisine,
a elle été vendue sans estimation préalable, malgré l'importance de la
transaction: 276 millions, soit un tiers de toutes les ventes de bâtiments
publics en six ans. Notons que pour mener la vente de ce bâtiment et d'un autre
à la rue du Palais, l'Etat a fait appel à un consultant extérieur. Celui-ci
devait facturer ses services 372000 euros, mais le ministre lui a
finalement signé un chèque de 815000 euros.
Viennent
enfin les loyers payés. Pour un bâtiment du quai de Willebroeck, vendu 4,3
millions, l'Etat a payé en trois ans... 4,141 millions. Pour le bâtiment du n°9
rue de la Loi, vendu 1,66 million, l'Etat payera 3,615 millions en neuf ans.
L'acheteur récupèrera donc sa mise en quatre ans. C'est comme si Bernadette et
Didier vendaient leur maison 300000 euros pour payer ensuite un loyer
mensuel de 6000euros. Mais après ces explications, on imagine que
Bernadette a enfin compris.
Marco
Van Hees
Publié dans Didier Reynders, l'homme qui parle à l'oreille des riches,
Ed. Aden, 2007.
1. «Les ficelles de
Didier Reynders», in Diagnostic, octobre 2006.
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