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Electrabel ne paie que 0
La facture fiscale est belle pour Electrabel et autres filiales belges du
groupe GDF-Suez. Elle est également radieuse pour les holdings du carolo Albert
Frère, premier actionnaire privé de GDF-Suez. Aperçu.

Electrabel: 0,04 % d’impôts, 526 millions de
ristourne fiscale
Vos factures de gaz-électricité font mal? Pourtant, la facture
fiscale est belle pour Electrabel. En 2009, elle a payé un demi-million d’impôts
sur un bénéfice avant impôts de 1,55 milliard. Soit un taux d’imposition de
0,04%. On peut dire que le courant conduit les bas taux…
Si Electrabel avait été soumise au taux normal de l’impôt des sociétés
(33,99%), la facture se serait élevée à 527 millions. Elle bénéficie
donc en 2009 d’une ristourne fiscale de 526,5 millions d’euros (voir
tableau). Et sur ces cinq dernières années (2005-2009), la ristourne fiscale
atteint 1,8 milliard.
Quels sont les mécanismes expliquant cette faible imposition? Prenons
l’année 2009. Cinq éléments méritent d’être soulignés.
1. Pour réduire (un petit peu) sa position dominante, Electrabel a été
obligée de céder certaines de ses activités, notamment à SPE et E.on. Mais
ces cessions ont dégagé des plus-values sur actions qui, dans notre pays, ne
sont pas imposables. D’où 230 millions de déductions fiscales.
2. Electrabel possède une masse d’actions de ses filiales ou de sociétés
qu’elle contrôle partiellement. Beaucoup de ces sociétés versent des
dividendes qui viennent grossir le bénéfice d’Electrabel. Ces bénéfices ne
sont pas taxables en vertu des «revenus définitivement taxés»
(RDT, voir encadré), ce qui représente une déduction fiscale de 497 millions
d’euros.
3. En 2009, outre les RDT de l’année, Electrabel a également déduit 339
millions de RDT de l’année précédente. En effet, les montants non déduits
une année pour cause de bénéfice insuffisant peuvent être reportés sur les
années suivantes. Ceci en vertu d’une circulaire administrative de 2009 qui
se plie – un peu facilement – à la jurisprudence de la Cour de justice (arrêt
Cobelfret).
4. Des points qui précèdent, on comprend que sous l’effet des RDT et des
plus-values exonérées, les profits financiers sont exonérés d’impôts.
Mais comment expliquer que le bénéfice industriel d’Electrabel, qui dépasse
le milliard d’euros en 2009, finisse également à la moulinette fiscale?
Par les RDT de l’année antérieure (cf. point 3), mais aussi par
l’importance des charges financières.
En effet, Electrabel s’est fortement endettée auprès de filiales du
groupe Suez pour acquérir des participations dans d’autres filiales du
groupe. Cet endettement lui permet de déduire fiscalement une masse d’intérêts.
Comme les dividendes ne sont pas taxés (grâce aux RDT), ces intérêts
viennent grignoter fiscalement le bénéfice industriel. Pour éviter ce genre
d’abus, de nombreux pays limitent le niveau d’endettement des holdings. Pas
la Belgique…
5. La loi-programme du 23 décembre 2009 fixe pour 2009 une taxe de 250
millions à charge des exploitants nucléaires Electrabel, SPE et EDF, en
compensation du prolongement de la durée de vie des centrales atomiques. Tout
en introduisant un recours contre la loi, Electrabel a payé sa part, soit 213
millions. Mais dans la législation belge, il existe des taxes et impôts considérés
comme charges fiscalement déductibles et d’autres non. Et ladite taxe de 213
millions est déductible de l’impôt des sociétés. L’Etat perd donc d’un
côté une partie (un tiers) de ce qu’il gagne de l’autre. Pendant ce temps,
Electrabel touche le jackpot en faisant tourner ses centrales plus longtemps.
Suez-Tractebel, filiale d’Electrabel : un cadeau de
l’Etat de 776 millions
Si l’on retient les filiales belges d’Electrabel dont le résultat 2009 dépasse
le million d’euros et dont Electrabel détient au moins la moitié du capital,
nous avons neuf sociétés (voir tableau) qui présentent un bénéfice total de
3,3 milliards pour 12 millions d’impôts. Soit un taux d’imposition de 0,36%.
Epinglons les trois plus grosses ristournes fiscales.
GDF Suez CC – ristourne fiscale de 303 millions – est l’un des derniers
centres de coordination encore taxés sur base du régime fiscal particulier de
ces centres: le système «Cost plus», qui fixe l’impôt en
fonction du montant des charges administratives de la société. Pas cher,
puisque son taux d’imposition n’est que de 0,15%. Ce système
disparaitra complètement après 2010, mais les intérêts notionnels sont là
pour prendre le relais.
Energy Europe Invest (EEI) – ristourne fiscale de 43 millions – est un
centre financier qui, comme le centre de coordination, est une sorte de banque
interne du groupe. Sauf que ce centre a été spécialement créé en 2006, à
partir d’une petite société insignifiante, pour profiter des intérêts
notionnels. Cette année-là, Electrabel a injecté 3,5 milliards dans le
capital d’EEI, qui a prêté l’argent à Suez-Tractebel. Les intérêts sur
ce prêt sont une charge déductible pour Suez-Tractebel. Pour EEI, ces intérêts
seraient normalement un bénéfice taxable. Mais comme ses fonds propres ont
grossi de 3,5 milliards (injectés par Electrabel dans le capital) et que,
justement, les intérêts notionnels sont calculés sur base des fonds propres,
EEI n’est pas taxé. En 2009, elle a déduit 126 millions d’intérêts
notionnels.
Suez-Tractebel – ristourne fiscale de 776 millions – est un holding contrôlant
une cinquantaine de sociétés énergétiques un peu partout dans le monde. En
2007, Suez la maison-mère française, a revendu Suez-Tractebel à Electrabel,
laquelle s’est donc endettée et a pu ainsi augmenter ses charges financières
(voir Electrabel, point 4). Fiscalement, Suez-Tractebel elle-même profite
essentiellement de deux mesures: les RDT (684 millions) et surtout
l’exonération de plus-values sur actions (1,4 milliard).
Par ailleurs, Suez-Tractebel a toujours de vieux contentieux avec
l’Inspection spéciale des impôts, concernant des investissements au
Kazakhstan et une succursale au Luxembourg.
Les holdings d’Albert Frère : 3,3 milliards de bénéfice,
152 euros d’impôts
Au 31 décembre 2009, GBL, principal holding d’Albert Frère, détenait 5,2%
du capital de GDF-Suez, figurant comme premier actionnaire après l’état français.
Frère est d’ailleurs vice-président du groupe énergétique. En 2009, GBL ne
paye pas d’impôt, malgré un bénéfice de 3,2 milliards. Cela grâce aux RDT
(396 millions) et surtout à l’exonération des plus-values sur actions (3
milliards). L’autre holding important de Frère, CNP, actionnaire indirect de
GDF-Suez via GBL, profite également de RDT, de plus-values exonérées ainsi
que d’intérêts notionnels. Ce qui élève sa facture fiscale à… 152
euros.
Et l’emploi?
D’après le rapport 2009 de GDF-Suez, les effectifs en Belgique, toutes
branches d’activité confondues, sont passées de 22241 travailleurs en
2007 à 19951 en 2009. Les milliards de cadeaux fiscaux n’ont donc pas
servi l’emploi.
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 17 novembre 2010
Réduisons le taux de TVA d’Electrabel
Plutôt que réduire le taux de l’impôt des sociétés
d’Electrabel de 33,99% à 0,04%, pourquoi ne pas plutôt réduire
son taux de TVA de 21% à 6%? Quel intérêt? Ben, ce
sont les consommateurs finaux (la population) qui payent la TVA, pas les firmes
énergétiques. Et cela ferait donc un fameux allègement dans le budget des ménages.
La pétition du PTB défendant une TVA à 6% sur l’énergie a récolté
200000 signatures. Une telle mesure coûterait entre 0,8 et 1 milliard
d’euros. En faisant payer un impôt normal à Electrabel, aux autres filiales
du groupe, et aux holdings d’Albert Frère, il y a largement de quoi
trouver cette somme.
Les RDT, une drôle de bête…
Les RDT (revenus définitivement taxés) sont une disposition fiscale en
vertu de laquelle une maison-mère n’est pas taxée sur les dividendes
qu’elle touche de ses filiales. Cette mesure est justifiée par le fait que le
bénéfice étant déjà taxé au niveau des filiales, il n’y a pas lieu de le
taxer une seconde fois au niveau de la maison-mère.
Relevons toutefois que les petits actionnaires d’une société, eux, sont
taxés sur les dividendes, alors que les actionnaires détenant au moins 10%
du capital ou un minimum de 1,2 million d’euros profitent des RDT. Pourquoi
cette discrimination?
Autre anomalie: les RDT sont accordés même si les dividendes sont
versés par une société peu taxée ou pas taxée du tout. Les RDT deviennent
alors ce que l’on pourrait nommer des RDNT: revenus définitivement non
taxés. Peu taxées? Il s’agit des filiales bénéficiant des intérêts
notionnels, mais aussi des intercommunales – lesquelles ne sont pas soumises
à l’impôt des sociétés– dont Electrabel est actionnaire
minoritaire. Ainsi, la seule intercommunale d’électricité du Hainaut (IEH) a
versé 13,2 millions d’euros de dividendes à Electrabel en 2009. Or, il y
vingtaine d’intercommunales similaires dont Electrabel est actionnaire.
Enfin, les RDT sont particulièrement profitables à un capitaliste comme
Albert Frère, qui a mis en place une incroyable cascade de holdings, ce qui lui
donne un effet de levier pour contrôler des grands groupes comme Total ou
GDF-Suez à partir d’un capital réduit. Enfin, réduit… Tout est relatif!
P o s t - s c r i p t u m
Les petits arrangements d’Electrabel avec la réalité
Confronté à la révélation du PTB sur le peu d’impôts payés en
Belgique, Electrabel ne nie pas les chiffres mais tente de les relativiser
par… une contre-vérité assez grossière. Interpellée par la RTBF pour son
journal télévisé, Lut Vande Velde, porte-parole de l’entreprise énergétique,
affirme que si on regarde « les impôts du groupe GDF-Suez en Belgique », on
constate qu’il est le quatrième plus imposé du Bel20.
Il est vrai qu’avec un taux d’imposition de 26%, GDF-Suez se place
à cette quatrième place. «Mais
ce taux n’a rien à voir avec “les impôts du groupe GDF-Suez en Belgique”»
affirme Marco Van Hees du département fiscalité du service d'étude du PTB
«En effet, si le Bel20 est bien l’indice de la Bourse de Bruxelles,
l’action GDF-Suez qui en fait partie est celle de la maison-mère… française.
Lut Vande Velde joue donc sur cette bizarrerie pour tromper le public sans trop
de scrupules.»
En réalité, le taux d’imposition de 26% est celui des comptes
consolidés de toute la multinationale GDF-Suez et représente donc les impôts
payés partout dans le monde. Pour ce qui concerne «les impôts du groupe
GDF-Suez en Belgique», le constat est sans appeldès lors qu’on
examine le taux d’imposition des quatre plus importantes sociétés belges du
groupe.
Electrabel: 0,04 %
Suez-Tractebel: 0,02%
GDF-Suez Coordination Center: 0,15%
Energy Europe Invest: 0,00%
Ce qui confirme la conclusion de notre étude: la Belgique est bien un
paradis fiscal pour multinationales.
Marco Van Hees
29.12.2010. 09:06 |