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Janssen Pharmaceutica échappe à la totalité de l’impôt des sociétés

La société Janssen Pharmaceutica a complètement échappé à l

La société Janssen Pharmaceutica a complètement échappé à l’impôt des sociétés (Isoc) pour les années 2008 et 2009. Il en va de même pour le centre de coordination du groupe, J.C. General Services, qui n’a pas payé le moindre impôt depuis 2007.

Lien : notre étude en version pdf


Réponse à Janssen Pharmaceutica

Suite à la divulgation, dans La Libre Belgique, d’une analyse du service d’études du PTB sur les aides fiscales et autres perçues par Janssen Pharmaceutica, l’administrateur délégué de cette société, Tom Heyman, a adressé un courrier aux différents partis politiques du pays. La Libre de ce mercredi s’en fait l’écho. Il tente d’y justifier le peu d’impôt payé en Belgique par le groupe pharmaceutique et accuse le PTB de falsifier certains faits. Nous tenons à répondre point par point à cette lettre.

1. Relevons d’abord l’étrangeté de la démarche. D’un point de vue électoral, le PTB n’est encore qu’une petite formation. Et voilà que le représentant en Belgique de l’immense multinationale américaine Johnson & Johnson (maison-mère de Janssen Pharmaceutica) écrit aux autres partis pour se plaindre un peu comme on s’adresserait à des grands frères pour qu’il enguirlande le benjamin de la famille. Cela nous fait croire que, contrairement aux autres partis, le PTB a touché un point sensible: faut-il continuer à accorder cette masse de cadeaux aux sociétés dans un contexte budgétaire où la facture risque bien d’être présentée à la population?

2. Tom Heyman écrit dans le premier paragraphe de sa lettre: «Sans s’étendre sur chaque allégation trompeuse, nous tenons cependant à réagir en replaçant les chiffres avancés dans une perspective correcte.» Chaque lecteur critique aura tiqué sur une méthode qui consiste à affirmer que notre dossier serait truffé d’allégations trompeuses, mais en évitant soigneusement de les citer. Plus encore qu’être choquante, cette technique laisse à penser qu’elle masque un déficit argumentaire.

3. Sur l’ensemble de notre dossier, Tom Heyman ne relève qu’un point qu’il juge, non erroné, mais trompeur: «Les chiffres du PTB/PVDA, écrit-il, sont trompeurs car ils présentent la vente unique de notre centre de coordination en 2007 comme un bénéfice courant avant impôts, alors qu’il s’agit d’une vente unique qui a dégagé une plus-value de 767 millions d’euros, exempts d’impôts selon la loi fiscale.»

Cette affirmation nous fait penser que M. Heyman a lu trop vite, ou pas lu du tout non seulement notre dossier – auquel il n’a peut-être pas eu accès – mais également l’article de La Libre Belgique qui en faisait écho. Car il aurait peu découvrir ce passage, repris par le quotidien: «L’année 2007 a été doublement lucrative, d’un point de vue fiscal, grâce à la vente de la participation dans J.C. General Service CVBA et la fusion avec Animal Health BVBA. D’une part, ces opérations ont dégagé des plus-values non taxables. D’autre part, elles ont fortement réduit les immobilisations financières, ce qui a permis d’accroître substantiellement la déduction d’intérêts notionnels pour les années suivantes.»

Bref, non seulement nous n’avons pas occulté le fait que le bénéfice 2007 de Janssen Pharmaceutica venait d’une plus-value, mais nous avons, au contraire, insisté sur le double avantage fiscal de cette plus-value.

4. Toujours à propos de cette plus-value, Tom Heyman écrit que «tenir compte de ce chiffre dans leur calcul total fait preuve d’une connaissance lacunaire. Cela n’a donc rien à voir non plus avec la déduction des intérêts notionnels.» Nous sommes navré de devoir contredire Monsieur Heyman, mais le rapport avec les intérêts notionnels est bien réel. Ne lui en tenons pas grief: n’étant revenu en Belgique que depuis deux ans, après 18 années passées aux Etats-Unis chez Johnson & Johnson, il a sans doute une connaissance lacunaire de la législation fiscale belge.

Explication. Pour calculer les intérêts notionnels qu’une société peut déduire, on multiplie le montant des fonds propres par un certain pourcentage (en 2007, c’était 3,781%). Mais au préalable, il faut déduire des fonds propres le montant des immobilisations financières, c’est-à-dire, les actions des filiales que détient la maison-mère. Justement, grâce à la plus-value non taxable de 2007, les immobilisations financières de Janssen Pharmaceutica sont passées de 3,2 milliards d’euros à 0,2 milliard. Tandis que les fonds propres sont passés de 3,4 à 4,1 milliards. La base de déduction des intérêts notionnels n’est donc plus de 3,4 – 3,2 = 0,2 milliard (à multiplier par le taux de l’année), mais de 4,1 – 0,2 milliard = 3,9 milliards. Cette base a donc été multipliée plus ou moins par vingt. Et cette situation, si elle ne change pas, servira à calculer les intérêts notionnels pour chaque année qui suit. Jusqu’à la fin des temps, si par malheur cette disposition fiscale perdurait jusque-là…

5. Tom Heyman indique aussi que le peu d’impôts payé par Janssen Pharmaceutica s’explique par les difficultés actuelles de la société, qui se sont traduites par une baisse du chiffre d’affaires et du résultat. La baisse du résultat en 2009 est réelle et notre dossier mentionne d’ailleurs, noir sur blanc, la perte réalisée cette année-là. Mais que se passera-t-il lorsque la société sera sortie de cette mauvaise passe? Elle pourra déduire non seulement les pertes antérieures, mais également, durant sept années, les intérêts notionnels qui n’auraient pas pu être déduits à cause d’une insuffisance ou absence de bénéfice. D’ailleurs, le bilan 2009 affiche déjà deux milliards de latences fiscales, c’est-à-dire de déductions à faire valoir sur les prochains exercices.

6. Si Janssen Pharmaceutica affiche une perte en 2009, ce n’est pas le cas de J.C. General Services, le centre de coordination du groupe, implanté en Belgique. M. Heyman reconnaît d’ailleurs que cette société bénéficie d’une «utilisation significative» des intérêts notionnels. Une façon de dire avec tact qu’elle est soumise à un taux d’imposition de 0%.

Cela a permis de maintenir l’emploi, plaide M. Heyman. Sachant que, sur ces cinq dernières années, J.C. General Services a obtenu en tout un milliard d’euros de déductions fiscales pour un effectif moyen de… 72,3 équivalents temps plein, cela fait cher l’emploi.

7. Par ailleurs, M. Heyman s’enorgueillit des investissements de sa société en recherche et développement. Nous ne disposons pas des chiffres pour les filiales belges, mais notre étude relevait que pour l’ensemble du groupe Johnson & Johnson dans le monde, les comptes 2009 montrent que les frais de recherche ne représentent que 11,3 % du chiffre d’affaires mondial, alors que les frais de vente, marketing et administration pèsent pour 32,0 % du chiffre d’affaires. Ces 32,0% sont même supérieurs aux frais de production (29,8%). Bref, le groupe de M. Heyman fait, avant tout, des investissements en recherche et développement de la publicité.

8. Enfin, M. Heyman déclare, à propos des intérêts notionnels: «Nous regrettons l’utilisation de notre nom dans la croisade du PTB/PVDA contre cette précieuse mesure fiscale.» Sur ce point, nous pouvons le rassurer: Janssen Pharmaceutica n’est ni la première (cf. notre révélation sur les 496 euros d’impôts payés par le centre financier d’ArcelorMittal sur un bénéfice de 1,3 milliard), ni la dernière multinationale dont le PTB analysera la situation fiscale. Le débat, auquel M. Heyman a contribué, aura au moins permis de s’interroger sur le bien fondé des milliards d’aides fiscales, sociales et autres accordées à de grands groupes qui réduisent l’emploi, à l’heure où l’on annonce un plan d’austérité de 25 milliards aux frais de la population.

Marco Van Hees

29.12.2010. 08:52