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Régionaliser l'impôt des sociétés : attention danger !

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L’impôt des sociétés (ISoc) va-t-il être régionalisé par un éventuel gouvernement Di Rupo-De Wever? Le risque n’est pas mince, car il serait le point de rencontre entre le tabou (justifié) de la gauche francophone vis-à-vis d’une scission de la sécu et la volonté de la droite nationaliste flamande d’obtenir une percée sur une revendication emblématique. Or, la régionalisation de l’ISoc en est bien une.

Et du côté francophone? Pour certains socialistes régionalistes, cette scission s’inscrirait dans une vieille tradition visant à accorder à la Wallonie les clés de son développement économique. Le député PS Alain Mathot n’a pas exclu une régionalisation partielle(?) de l’ISoc. Et le chef de file des métallos liégeois, Francis Gomez, proche du ministre wallon de l’économie, Jean-Claude Marcourt, y voit l’occasion de mieux redistribuer la manne des intérêts notionnels.

Attention, danger! Scinder l’ISoc créerait d’abord un incroyable chaos administratif, dans un pays où nombre d’entreprises sont actives dans les trois régions qui le composent. Où va-t-on taxer la SPRL Gofosucre, qui vend des gaufres de Liège sur la Grand-Place de Bruxelles et des gaufres de Bruxelles à la Vlaams Kust? Ou la société de construction flamande Woningcode NV, qui réalise 70% de ses chantiers en Wallonie?

Appliquerait-on le taux d’imposition de la région dans laquelle elles ont leur siège social? Si c’est le cas, il est clair qu’elles vont déménager celui-ci dans la région où il est le plus bas, sans que ça ne modifie en rien les lieux réels de leur activité.

Appliquerait-on le taux d’imposition de la région où elles réalisent la majorité de leur activité? Ou ventilerait-on leur bénéfice selon les trois régions du pays pour appliquer chacun des trois taux à une partie de la base imposable? Dans les deux cas, on serait entraîné dans d’impraticables comptes d’apothicaire, dont notre (nos) l’administration(s) fiscale(s) maigrelette(s) ne pourrai(en)t en tout cas pas assumer le contrôle.

Par ailleurs, la régionalisation de l’ISoc aurait pour effet d’accroître considérablement le dumping fiscal que l’on constate déjà à l’échelle européenne. En raison de la dérive libérale – tant dénoncée par les socialistes – de l’Union européenne, les règles fiscales des états membres ne sont pas uniformisées, ce qui entraîne, sous l’effet de la concurrence entre pays, un nivellement par le bas du niveau de taxation des sociétés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasardsi les décisions en matière fiscale sont soumises à l’unanimité des états membres.

Et on pousserait cette logique encore plus loin en créant un dumping fiscal à l’intérieur même des frontières belges? Il est clair qu’à cette échelle – et d’autant plus compte tenu de la volatilité des sièges sociaux mentionnée ci-dessus – chaque fois qu’une région réduirait son taux d’ISoc, les autres suivraient le mouvement.

À l’heure actuelle, le développement économique de Wallonie tel que conçu par le Plan Marshall du gouvernement olivier, est déjà essentiellement axé sur les cadeaux aux entreprises. On peut deviner qu’en cas de régionalisation de l’Isoc, ce plan gagnerait un nouveau volet: celui des cadeaux fiscaux.

Qu’en résulterait-il? Que la charge fiscale pèserait encore un peu plus sur une population qui fournit déjà la majeure partie de l’effort budgétaire. En 2009, l’ISoc rapporte à peine 8,1 milliards d’euros. L’essentiel des 153 milliards composant les autres recettes de l’état est versé par la population.

La situation des sociétés est-elle si difficile qu’elles doivent bénéficier des telles largesses fiscales? Pas sûr. Il y a trente ans, la part des bénéfices des sociétés représentait 9% du revenu national. Aujourd’hui, elle représente 19% du gâteau. Si les sociétés se contentaient de la part qu’elles avaient il y a trente ans, elles pourraient augmenter chacun de leur salarié de… mille euros brut par mois.

Marco Van Hees (juin 2010)

29.12.2010. 06:24