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Accueil · Fiscalité · Impôt sur la fortune · La Belgique: ses frites, sa bière, ses refuges pour grosses fortunes La Belgique: ses frites, sa bière, ses refuges pour grosses fortunes
En France, des lobbies patronaux mènent campagne pour
faire abolir l'impôt sur la fortune. Campagne qui, vu de ce côté de la frontière,
montre combien la Belgique est un paradis fiscal pour riches.
Si le prix de l'immobilier est si élevé dans certaines régions du pays,
les riches réfugiés fiscaux qui s'y installent n'y sont pas totalement... étrangers.
Pourtant, ces immigrés-là ne font pas l'objet des campagnes de dénigrement
visant les exilés démunis venus du tiers monde. En France, les lobbies de
droite rêvant d'abolir l'impôt sur la fortune versent même de chaudes larmes
sur le sort de ces riches réfugiés économiques «obligés» de s'expatrier
chez nous.
La Belgique, qui ne taxe ni la fortune ni les gains boursiers, est l'objet
d'une double immigration fiscale: des Pays-Bas et de France. Chez nos voisins du
Nord, l'impôt sur la fortune qui existait depuis la fin du 19e siècle
a été formellement supprimé en 2001. Mais pour être remplacé par un impôt
de 30% sur le rendement du capital. Et ce rendement est évalué forfaitairement
à 4% de la fortune. Cela reste donc, dans les faits, un impôt de 1,2% sur la
fortune (30% x 4%).
Cela fait des années que les riches Néerlandais s'installent en Belgique
pour des raisons fiscales. Lieu de prédilection: tout le long de la frontière,
sur une zone qui va de la chic banlieue nord d'Anvers jusqu'aux Fourons (proches
de Maastricht), en passant par la Campine. Même les parrains de la maffia néerlandaise
viennent y passer des jours heureux. Au Grote Heide, un riche quartier de
Neerpelt (Limbourg), on aperçoit de temps en temps leurs gardes du corps. Qui
n'ont pu empêcher que quatre de ces maffiosi se fassent descendre récemment.
Dire que l'endroit est si calme, d'ordinaire...
Les «passeurs» demandent 8.000 euros par
consultation
Mais les flux les plus actifs, pour le moment, viennent de France, où l'impôt
sur la fortune comporte six tranches, de 0,55 à 1,80%. Faut dire que cette émigration
est encouragée par des publicités publiées dans Le Figaro et divers
journaux financiers.
Beaucoup des capitalistes exilés reçoivent l'aide de «passeurs» c'est le
terme utilisé. Lesquels n'hésitent pas à demander 8.000 euros par
consultation. Ils justifient ces honoraires par les «350 analyses et
rapports à éplucher concernant uniquement les problèmes liés à la
Convention fiscale franco-belge.»1 L'un de ces passeurs explique
que si, naguère, la Suisse était la plus prisée, «aujourd'hui, le nirvana
des riches, c'est la Belgique. Et dans le plus scrupuleux respect des lois. A
son arrivée à Bruxelles, un émigré français ne doit même pas négocier ses
impôts comme à Genève.»2
Les patrons de la région lilloise émigrent plutôt dans les environs de
Tournai, tout proches. Ce qui leur permet de faire la route quotidiennement vers
leur entreprise. «Depuis que je vis en Belgique, confie l'un d'eux, le
matin, je mets même moins de temps qu'auparavant.»3 Cas
le plus célèbre: la famille Mulliez, actionnaire des hypermarchés Auchan,
dont plusieurs cousins habitent la même rue du village de Néchin (commune
d'Estaimpuis), à quelques centaines de mètres de la frontière.
Mais aujourd'hui, plus moyen de trouver, dans la région tournaisienne, des
demeures correspondant au standing des exilés. Malgré le handicap de la
langue, ils se rabattent donc sur la zone de Courtrai, où les grandes propriétés
se négocient autour de 2,5 millions d'euros.
Les capitalistes parisiens optent plutôt pour la capitale belge. Soit la
riche banlieue, comme à Rhode-Saint-Genèse. Soit les quartiers chics d'Uccle
ou Ixelles où, malheureusement, l'«Impasse des milliardaires», à l'entrée
du Bois de la Cambre, affiche complet. Avec le Thalys, ils peuvent rejoindre
Paris-Nord 26 fois par jour en 1h25. Un spécialiste de l'immobilier grand luxe
explique sans retenue: «Les riches Belges mettent jusqu'à deux millions
d'euros pour une habitation, les Français montent facilement à quatre
millions.»4
Gageons que les Bruxellois modestes, qui n'arrivent plus à trouver un
logement à prix décent, n'auraient rien contre l'instauration d'un impôt sur
la fortune...
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 1er février 2006
Le sanglot des riches
«C'est trop injuste». Il ne s'agit pas d'un épisode de Calimero,
mais d'un livre qui pleure le sort des Français les plus riches.
L'ouvrage Trop d'impôts tue l'emploi est un des fers de lance de
l'actuelle campagne patronale pour supprimer l'impôt sur la fortune en France.
Pourtant, il sonne comme une longue complainte. Tâche ardue pour ses deux
auteurs: dans un pays comptant 3,7 millions de pauvres, apitoyer le lecteur sur
le sort de 335000 privilégiés qui paient un impôt représentant à peine 1%
des recettes fiscales.
Mais Philippe Alexandre et Béatrix de l'Aulnoit se donnent de la peine,
allant jusqu'à évoquer le spectre de la Révolution française: l'impôt sur
la fortune, c'est «un peu comme si, brusquement, ils [les fortunés] se
retrouvaient deux siècles en arrière sous la Terreur avec l'ombre du cachot et
de la guillotine.» Exemple de cette Terreur, ce patron expliquant qu'il
n'arrive pas à convaincre sa famille de s'expatrier en Belgique: «Je
manquais d'arguments car la Belgique, impôts mis à part, n'est pas un paradis.
La Wallonie est très pauvre et les Flamands n'ont pas cette finesse qui
constitue le charme français» Terrifiant, non?
A travers l'énoncé larmoyant des arguments classiques contre la taxation
des fortunes (auxquels nous répondons ci-contre), l'ouvrage a deux mérites
involontaires. D'abord, il montre combien notre pays est un paradis fiscal pour
riches et un enfer fiscal pour salariés. Ensuite, il dévoile en filigrane
pourquoi le monde politique français craint d'abolir l'impôt sur la fortune:
la majorité de la population y est attachée. Au point que le président Chirac
serait convaincu d'avoir perdu les présidentielles de 1988 à cause de cet impôt.
Et n'oserait plus, depuis, évoquer son abolition.
Le Nouvel Observateur5va plus loin dans cette analyse: «L'ISF
[impôt de solidarité sur la fortune] a toujours fait tourner les
gouvernements en bourriques. Droite, gauche... Ils se sont tous heurtés à la même
équation. Comment faire payer les riches, tout en les épargnant le plus
possible? Comment clamer haut et fort son attachement à l'ISF, tout en le
toilettant en catimini? C'est la gauche qui s'est révélée la plus ingénieuse
pour tuer la créature qu'elle avait créée en 1981... A peine né, ce bel
instrument de justice sociale est doté d'excroissances bizarres. Mitterrand a
ainsi décidé que les oeuvres d'art seraient exonérées. Idem pour les forêts,
les voitures de collection, exclues de l'assiette de l'impôt, puis finalement
l'outil de travail. L'IGF [première version de l'ISF] tel qu'on
l'avait pensé n'a jamais fonctionné, se rappelle Michel Taly, conseiller
fiscal à l'époque. En 2005, près d'un quart de siècle après, ce drôle
d'impôt est devenu une vraie passoire à exonérations.»
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 1er février 2006
1 Alexandre Ph. & de l'Alunoit
B., Trop d'impôts tue l'emploi, Robert Laffont, 2005 · 2 Ibidem · 3 Ibidem ·
4 RTL-TVi, 27/9/05 · 5 3/11/05 · 6 Le Monde, 28/9/2004.
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