Accueil · Fiscalité · Impôt sur la fortune · Taxer les grosses fortunes: réponses à des objections courantes Taxer les grosses fortunes: réponses à des objections courantesOn taxe déjà trop. Ce n'est pas réaliste. Les capitaux
vont fuir... Que répondre à ceux qui craignent un impôt sur la fortune ?
«Les riches vont s'en tirer et
c'est nous qui payerons. Marre des taxes!»
Marre des taxes? Si vous en payez tant, c'est parce que les
riches en payent beaucoup trop peu. Attention, certains travailleurs s'estiment
riches parce qu'ils ont une belle maison et une grosse auto. Ceux-là ne sont
pas visés. Le PTB défend un impôt annuel de 1% sur les fortunes qui dépassent
500000 euros (20 millions de FB). Et de 2% sur la tranche au-delà de 750000
euros (30 millions de FB). Notons que même un ménage dépassant légèrement
le seuil de 500000 euros, qui posséderait par exemple 600000 euros, ne payerait
que 1 % de 100 000 euros (600000 500000), soit 1 000 euros.
«N'y-a-t-il pas déjà un impôt
sur la fortune en Belgique?»
Non. Il faut distinguer revenu et fortune. Le revenu, c'est
tout ce qu'un ménage touche durant un an: salaire, loyers perçus par un propriétaire,
intérêts annuels d'un placement en banque, dividendes des actions... La
fortune, c'est la valeur de ce qu'un ménage possède à une date donnée, par
exemple au 1er janvier: terrains et immeubles, placements financiers,
bateaux, bijoux...
Argument des adversaires de l'impôt sur la fortune, comme le
ministre des Finances Reynders: puisque les revenus de la fortune (intérêts et
dividendes) sont déjà taxés, il ne faut pas taxer en plus la fortune elle-même.
D'autant qu'il y a aussi des droits de succession à payer en cas d'héritage de
la fortune.
Mais cela ne dérange pas Reynders que les simples
travailleurs, aux revenus bien plus modestes, croulent sous une accumulation de
taxes: impôt sur le revenu, centimes additionnels, TVA, accises, écotaxes,
taxes communales, taxes régionales, sacs poubelle payants et une infinité de
redevances pour des services publics censés être financés par les impôts.
Sans parler des frais exigés par l'«école gratuite»...
De plus, la taxation des intérêts et dividendes se limite
à un précompte mobilier de 15 ou 25%. Et ce précompte est libératoire: il ne
faut plus indiquer ce revenu dans sa déclaration d'impôt et il n'est donc pas
additionné aux autres revenus. Alors que si un salarié fait des heures supplémentaires,
le surplus de revenus augmente son taux d'impôt (qui peut aller jusque 50%).
Ajoutons que quand un capitaliste gagne des millions d'euros en revendant des
actions plus cher qu'il les achetées, il ne paie pas un centime d'impôt.
«On taxe déjà trop les
entreprises»
Trop taxées les entreprises? En 2002, le taux officiel est
passé de 40,17% à 33%. Sachant qu'avec les nombreuses réductions, le taux réel
n'est que de 26%. Et ce taux va encore baisser cette année avec les intérêts
notionnels: des intérêts fictifs (!) que peuvent déduire les entreprises.
De toute façon, l'impôt sur la fortune ne taxe pas les sociétés.
Il taxe les gros actionnaires de ces sociétés. Or, beaucoup de grandes
entreprises consacrent une part importante de leurs bénéfices à payer des
dividendes aux actionnaires plutôt que de les réinvestir dans la production.
«L'impôt sur la fortune ne peut être adopté qu'au niveau
européen»
Ce type d'argument aurait un brin de crédibilité si, en la
matière, la Belgique avait une position d'avant garde dans l'Union et que les
autres États freinaient des quatre fers. Mais c'est l'inverse: la Belgique est
à la traîne sur nombre d'États européens. Et, qui plus est, elle joue un rôle
néfaste en accueillant les grosses fortunes fuyant la France ou les Pays-Bas.
De toute façon, les travailleurs doivent faire comme les capitalistes: mener
les luttes au niveau national et au niveau européen.
«On va faire fuir les capitaux»
C'est l'argument principal de la campagne patronale menée en
France actuellement: les patrons quittent la France et avec eux leurs
entreprises. Seulement, un rapport de la Cour des Comptes française démontre
que c'est faux. Il constate qu'à peine 300 à 400 contribuables fortunés par
an fuient le pays, soit 0,13 % des redevables. Entre 1997 et 2001, 250 millions
d'euros ont ainsi échappé à l'impôt sur la fortune. Mais dans le même
temps, l'impôt a rapporté 10,3 milliards d'euros.
Et surtout, le rapport ajoute cet élément: «L'argument
qu'on entend souvent, selon lequel il s'agirait d'une perte de capitaux pour la
France, est mal fondé, car les investissements (entreprises, Bourse) de ces
contribuables ne sont pas liés à leur lieu de résidence.»6
En d'autres termes, ce n'est pas parce que la famille Mulliez se domicilie
dans le petit village belge de Néchin, qu'elle va fermer les 119 gigantesques
hypermarchés Auchan qu'elle possède en France.
«En France, l'impôt sur la fortune
a un rendement négligeable»
Bizarre. Ceux qui affirment que l'impôt sur la fortune
exerce une pression insupportable sont les mêmes qui prônent son abolition
parce qu'il ne rapporte pas grand-chose. Faudrait savoir...
Mieux vaut un rendement faible que pas de rendement du tout.
Mais c'est vrai qu'en France, il rapporte beaucoup moins qu'il le devrait: il
touche le 1% le plus riche de la population et ne rapporte que 1% des recettes
fiscales. En cause: la masse d'exceptions introduits par les gouvernements
successifs, tant socialistes que de droite.
Le socialiste Mitterrand a exonéré les terrains boisés et
les uvres d'arts. Puis, on a exonéré «l'outil de travail», c'est-à-dire les
actionnaires ayant une fonction dirigeante dans l'entreprise. Aucun des grands
patrons du CAC 40 (les vedettes de la Bourse de Paris) ne paie donc d'impôt sur
leur fortune. Et l'impôt a encore été plafonné en fonction du revenu. Le 21
octobre 2005, les ténors socialistes ont consciencieusement quitté le
Parlement pour que la droite puisse discrètement voter trois nouvelles exonérations,
qui vident encore plus l'impôt de sa substance.
«C'est très bien mais complètement
utopique»
Certains disent: «Regardez, on a essayé de taxer les
sicav [titre représentant un panier d'obligations et actions] en 2005,
mais en un jour, les banques ont lancé une campagne pour couler la mesure.» C'est
vrai. Mais de quoi s'agit-il? Le gouvernement ne taxe que les sicav non spéculatives,
dont le client type est le petit épargnant «bon père de famille». Parade:
les banques leur proposent d'investir dans des titres spéculatifs. Et comme ils
ne connaissent rien à la Bourse, il risque de se prendre un gros bouillon.
Par contre, un véritable impôt sur les grosses fortunes n'a
rien d'utopique puisqu'il existe dans de nombreux pays européens : France,
Espagne, Suède, Finlande, Grèce, Islande, Norvège, Pays-Bas. Il est vrai,
toutefois, que le maintien et l'application correcte d'un tel impôt fera
l'objet d'une lutte permanente entre capitalistes et travailleurs. Mais dans la
société capitaliste, c'est le cas pour toute conquête sociale.
Marco Van Hees
Publié dans Solidaire le 1er février 2006
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